Le Pacte de Sang Oublié
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Chapitre 4

Le récit a commencé à sortir de moi, par bribes, comme un poison que l'on crache. L'inspecteur Bernard écoutait, sans m'interrompre, prenant des notes. Mes parents étaient là, refusant de partir, s'accrochant à la vérité comme à une bouée de sauvetage maudite.

Tout a commencé l'été de mes quatorze ans. Mes parents, qui travaillaient dur dans une usine en ville, avaient décidé que je passerais les vacances à la campagne, chez mon grand-père. Pour « prendre l'air », disaient-ils.

Je me souviens de ma mère, les larmes aux yeux, sur le quai de la gare.

« Sois sage, ma chérie. Écoute bien ton grand-père. »

Mon père m'avait serré maladroitement dans ses bras.

« On vient te chercher à la fin du mois d'août. Amuse-toi bien. »

Les premiers jours étaient idylliques. Mon grand-père me préparait des œufs frais le matin. On se promenait dans les champs. Il me racontait des histoires du vieux temps. Il était le patriarche respecté, l'homme sage du village. Une façade parfaite.

Puis, une nuit, tout a basculé.

J'étais dans mon lit. J'ai entendu la porte de ma chambre grincer. J'ai cru que c'était le vent. Puis j'ai senti une main sur ma bouche. Une main rêche, qui sentait la terre et le tabac froid.

C'était mon grand-père.

Je ne peux pas décrire les détails. Les mots sont trop faibles, trop propres. Il y a eu la douleur, la peur, la confusion. L'odeur de son souffle, aigre et alcoolisé. Le poids de son corps sur le mien.

Quand il a eu fini, il s'est relevé, rajustant son pantalon comme si de rien n'était. Il m'a regardée, allongée sur le lit, tremblante, souillée.

« T'es une grande fille maintenant, hein ? » a-t-il dit avec un rictus.

Je voulais crier, mais aucun son ne sortait.

Le lendemain matin, mon oncle Jean est passé. Il m'a vue, les yeux cernés, le visage fermé. Il a compris tout de suite. Il n'a pas montré de surprise, ni de colère. Juste un intérêt malsain.

Il a pris mon grand-père à part dans la cuisine. J'entendais leurs chuchotements.

« Elle est jolie... bien formée pour son âge. » C'était la voix de mon oncle.

« On pourrait se faire de l'argent avec ça. » C'était mon grand-père.

« Le notaire, il paierait bien pour une jeunette comme ça. Il aime la chair fraîche. »

Mon sang s'est glacé. Je ne comprenais pas tout, mais je comprenais l'essentiel. Ils parlaient de moi comme d'un animal, d'une marchandise.

J'ai essayé de m'enfuir. J'ai couru vers le téléphone dans le salon pour appeler mes parents. Mais mon grand-père m'a attrapée par les cheveux. Il m'a traînée en arrière, me jetant sur le sol.

« Où tu crois aller comme ça, petite salope ? »

Il m'a giflé, si fort que ma tête a heurté le pied de la table. J'ai vu des étoiles.

Mon oncle Jean s'est accroupi à côté de moi. Il a sorti un téléphone portable de sa poche et m'a montré une photo. C'était une photo de moi, la nuit précédente. Nue, endormie, vulnérable. Prise par mon grand-père.

« Si tu ouvres la bouche, » a dit mon oncle d'une voix douce et venimeuse, « cette photo, je l'envoie à tes parents. Je la montre à tout le village. Je la mets sur Internet. Ta vie sera finie. La leur aussi. Ils mourront de honte. »

Il a fait une pause, pour laisser les mots s'enfoncer en moi.

« Et ton petit frère, Léo... Il est si mignon. Ce serait dommage qu'il lui arrive un accident, non ? Qu'il tombe dans un puits, ou qu'il se fasse écraser par un tracteur... »

La menace était claire, précise, absolue. Ils ne me tenaient pas seulement, moi. Ils tenaient toute ma famille.

Mon grand-père s'est allumé une cigarette. La cendre est tombée sur ma joue.

« Tu vas être une gentille fille, Léonie. Tu vas faire ce qu'on te dit. Tu vas nous aider à gagner un peu d'argent. C'est la moindre des choses, après tout ce qu'on a fait pour toi. »

Il a souri, découvrant des dents jaunies par le tabac.

« Et si tu n'es pas sage, si tu essaies encore de t'enfuir ou de parler... la cave, sous la grange, elle est profonde. Et personne ne viendra t'y chercher. On dira à tes parents que tu as fait une fugue. Ils pleureront un peu, et puis ils oublieront. »

J'ai regardé ces deux hommes. Mon grand-père, mon oncle. Le sang de ma mère. Une part de moi est morte ce jour-là. La petite fille innocente a été assassinée, et à sa place est née une chose silencieuse, remplie de haine et de peur.

J'ai hoché la tête. Je n'avais pas le choix.

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