Le Pacte de Sang Oublié
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Chapitre 3

De retour dans ma cellule, le souvenir des visages dévastés de mes parents tournait en boucle dans ma tête. La douleur était une chose physique, une pression dans ma poitrine. J'ai attendu que la nuit tombe, que le silence s'installe dans le poste de gendarmerie.

Quand l'inspecteur Bernard est venu m'apporter un plateau-repas, je ne l'ai pas touché. Je l'ai regardé et j'ai dit :

« J'ai besoin de revoir mes parents. Une dernière fois. »

Il a froncé les sourcils.

« Pourquoi ? »

« J'ai des choses à régler. Des choses pratiques. »

Il a hésité, puis a accepté. Il a dû sentir que quelque chose se préparait.

Ils sont revenus, encore plus brisés que la première fois. Ils se sont assis en face de moi, dans la même salle d'interrogatoire sinistre. Il n'y avait plus de cris, seulement un chagrin silencieux et lourd.

J'ai parlé vite, d'une voix neutre.

« Dans mon sac, il y a ma carte bancaire. Le code, c'est l'anniversaire de Léo. 0806. Il y a assez d'argent pour que vous n'ayez plus de soucis pendant un bon moment. Vendez la maison. Partez d'ici. Allez dans une grande ville où personne ne vous connaît. Ouvrez la petite brasserie dont tu as toujours rêvé, papa. »

Mes parents me regardaient, les yeux écarquillés, sans comprendre.

« Léonie, qu'est-ce que tu racontes ? L'argent, on s'en fiche... » a commencé mon père.

Je l'ai ignoré, continuant mon monologue.

« Dites à Léo de bien travailler à l'école. Dites-lui que je suis partie en voyage, très loin. Ne lui parlez jamais de tout ça. Jamais. »

Ma mère a commencé à trembler. Elle a compris. Ses yeux se sont remplis d'une terreur panique.

« Non... Léonie, non... Qu'est-ce que tu as l'intention de faire ? »

Sa voix était un murmure étranglé.

Je l'ai regardée, et pour la première fois, j'ai laissé mon masque se fissurer. J'ai vu ses cheveux, autrefois noirs, maintenant parsemés de fils blancs. J'ai vu les rides de fatigue autour des yeux de mon père. Je les avais protégés, mais je les avais aussi détruits.

« Ne fais pas ça, ma chérie... Je t'en supplie... » a pleuré ma mère, sa voix se brisant complètement.

J'ai secoué la tête. « C'est la seule solution. »

Soudain, j'ai senti le monde basculer. Les murs gris de la pièce se sont mis à tourner. Un voile noir est tombé devant mes yeux. J'avais gardé un petit morceau de lame de rasoir, caché dans l'ourlet de mon pantalon. Je l'avais avalé juste avant qu'ils n'arrivent.

J'ai senti une douleur fulgurante dans mon estomac. Le goût du sang a rempli ma bouche. J'ai vu le visage de ma mère se tordre d'horreur. J'ai entendu mon père pousser un cri étouffé.

Puis, plus rien. Le noir complet.

...

Une lumière blanche, aveuglante. Une odeur d'éther et de désinfectant. Le bip régulier d'une machine.

J'ai ouvert les yeux. J'étais dans un lit d'hôpital. Une perfusion était plantée dans mon bras. J'avais échoué.

Mon regard a croisé celui de l'inspecteur Bernard, assis sur une chaise près de mon lit. Il avait l'air épuisé.

« Mauvaise idée, Léonie, » a-t-il dit doucement.

La porte s'est ouverte et mes parents se sont précipités à l'intérieur. Ma mère s'est jetée sur mon lit, pleurant et me touchant le visage, les mains, comme pour s'assurer que j'étais bien réelle. Mon père se tenait derrière, le visage fermé, mais ses épaules secouées par des sanglots silencieux.

« Pourquoi ? Pourquoi tu as fait ça ? » a murmuré ma mère, sa voix rauque.

Je n'ai pas répondu. J'ai fermé les yeux. Je voulais juste que tout s'arrête.

L'inspecteur Bernard s'est raclé la gorge.

« Je vais vous laisser. Mais nous devrons reparler, Léonie. Quand vous irez mieux. »

Il s'est levé pour partir, mais le jeune officier Marc est entré en trombe. Il était furieux.

« Alors comme ça, on essaie de se défiler ? On commet un massacre et on n'a même pas le courage d'assumer ? »

Il s'est approché de mon lit.

« Vous me dégoûtez. Toute cette famille de monstres qui vous a élevée, qui a tout fait pour vous, et voilà comment vous les remerciez ! Vous êtes une vipère, une ingrate ! Un vrai déchet ! »

« Marc, ça suffit ! Dehors ! » a tonné Bernard.

Mais les mots avaient déjà fait leur travail. Ils ont ravivé le feu en moi. La haine, que j'avais cru apaisée par mon acte, est remontée, brûlante.

J'ai ignoré le jeune flic. J'ai regardé Bernard.

« Ils ne m'ont pas élevée. Ils m'ont vendue. »

Le silence est retombé dans la pièce. Mes parents m'ont regardée, incrédules.

Bernard s'est rapproché, son visage soudain très sérieux.

« Expliquez-vous. »

« La clinique de mon oncle Jean... » ai-je commencé, ma voix tremblante de rage contenue. « Vous devriez y jeter un œil. Surtout le carnet de rendez-vous. Et les registres de comptes. »

Le jeune officier a ricané.

« Quoi ? Elle accuse son oncle maintenant ? C'est n'importe quoi ! »

Mais Bernard ne riait pas. Il me fixait, et je savais qu'il commençait à comprendre. Il voyait le fond du puits.

« La clinique... » a-t-il répété lentement. « Les médicaments que nous avons trouvés dans les analyses de sang des victimes... des somnifères puissants. Le genre de médicaments qu'on trouve dans une clinique. »

Cette simple phrase a fait sauter le dernier verrou qui retenait ma fureur. J'ai senti une force sauvage monter en moi. J'ai arraché la perfusion de mon bras. Je me suis redressée d'un bond, ignorant la douleur dans mon ventre.

J'ai attrapé le col de la chemise de Marc, le surprenant par ma soudaineté. Mes yeux devaient être fous.

« Vous ne savez RIEN ! » ai-je hurlé, mon visage à quelques centimètres du sien. « RIEN ! »

Je l'ai secoué, toute ma douleur, toute ma rage, toute ma haine explosant en une seule fois.

« ILS DEVAIENT MOURIR ! TOUS ! MON GRAND-PERE ! MON ONCLE ! LE MAIRE ! TOUS CES PORCS QUI VENAIENT À LA CLINIQUE ! TOUS CEUX QUI REGARDAIENT AILLEURS ! ILS DEVAIENT TOUS CREVER ! TOUS ! »

Mes cris résonnaient dans la chambre d'hôpital. Mes parents étaient pétrifiés. Marc était blanc de peur. Bernard me regardait, non plus avec pitié, mais avec une lueur de compréhension horrifiée.

J'ai lâché le jeune flic, qui a reculé en trébuchant. Je suis retombée sur le lit, à bout de souffle, tremblant de tous mes membres.

Le barrage avait cédé. Le flot immonde de la vérité allait tout emporter sur son passage.

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