Antoine était parti tôt, prétextant un rendez-vous urgent pour "gérer la crise". Sophie, elle, restait cloîtrée dans sa chambre. J'étais seule, prisonnière dans mon propre appartement, quand la sonnette a retenti.
C'était sa mère. Madame Lefevre. Une femme dont l'élégance n'avait d'égale que la froideur. Elle est entrée sans que je l'y invite, son regard balayant mon intérieur avec un mépris à peine voilé.
« Alors c'est vrai, » a-t-elle commencé, sans même un bonjour. « Tu as réussi à nous couvrir de honte. »
Elle a retiré ses gants en cuir, les posant sur la console de l'entrée comme si elle était chez elle.
« Je ne sais pas ce que mon fils te trouve. Une petite provinciale qui ouvre un salon de thé... C'était déjà assez limite pour notre famille. Mais ça ? Un délit, de l'alcool au volant... Tu es une honte, Élise. Une véritable tache sur notre nom. »
Je suis restée silencieuse, mon corps entier vibrant d'une colère contenue. Je la laissais déverser son venin, chaque mot renforçant ma résolution.
« Et cet enfant... » Elle a eu un rictus de dégoût. « Tu pensais vraiment nous piéger avec ça ? Un héritier né dans le scandale ? Jamais. L'image de la famille Lefevre est primordiale. Nous ne pouvons pas nous permettre d'être associés à... ça. »
Son geste vague englobait mon ventre, mon existence tout entière.
C'est à ce moment que j'ai décidé de ne plus me taire. J'ai levé les yeux et l'ai regardée droit dans les siens.
« J'ai pitié de vous, Madame Lefevre, » ai-je dit d'une voix posée, ce qui a eu l'air de la déconcerter. « Votre monde est si petit, si fragile, qu'il peut être brisé par un simple article de journal. Ma vie, elle, est peut-être ruinée aujourd'hui, mais au moins, elle est réelle. La vôtre n'est qu'une façade. »
Elle a ouvert la bouche pour répliquer, le visage rouge de fureur, mais la porte d'entrée s'est ouverte à la volée. Antoine était là, le visage blême.
« Mère ! Qu'est-ce que tu fais ici ? Je t'avais dit de ne pas venir ! »
Il s'est précipité entre nous, comme pour me protéger d'elle. Un instant, une lueur d'espoir absurde a vacillé en moi. Allait-il enfin dire la vérité ? Allait-il me défendre ?
« Antoine, cette fille est en train de nous détruire ! » a crié sa mère. « Tu dois la quitter, immédiatement ! Annonce publiquement que tout est de sa faute, qu'elle t'a manipulé ! C'est la seule façon de sauver notre réputation ! »
« Ça suffit ! » a hurlé Antoine.
Un silence tendu s'est installé. Il se tenait là, tiraillé entre sa mère et moi. Son regard passait de l'une à l'autre, son visage une carte de son tourment intérieur. Je pouvais presque voir les rouages de son esprit s'emballer, pesant le pour et le contre, calculant le moindre coût.
Puis, il a pris une grande inspiration. Il s'est tourné vers moi. Ses yeux étaient froids, déterminés. Le lâche avait fait son choix.
« Mère a raison. »
Ces trois mots ont frappé plus fort que n'importe quelle gifle. L'air a semblé se vider de mes poumons.
« Antoine... non... » ai-je soufflé.
Il a secoué la tête, refusant de croiser mon regard dévasté.
« Écoute, Élise. C'est la seule solution. J'ai déjà préparé une déclaration pour la presse. Je vais dire... que tu traversais une période difficile, que tu as des problèmes... que tu as agi sous le coup de l'émotion. Je dirai que je te pardonne, que je te soutiendrai. Ça calmera les choses. Les gens auront pitié de toi, et l'attention se détournera de la famille. »
Il parlait vite, comme pour se convaincre lui-même de la justesse de son plan monstrueux. Il n'allait pas seulement me laisser prendre la faute. Il allait publiquement me déclarer coupable, instable, folle. Il allait me sacrifier sur l'autel de son image.
J'ai regardé cet homme que je ne reconnaissais plus. L'amour, le chagrin, la rage... tout avait disparu. Il ne restait qu'un vide immense et glacial. Madame Lefevre souriait, triomphante.
« C'est bien, mon fils. Tu prends enfin la bonne décision. »
Je n'ai plus rien dit. Je n'avais plus rien à dire. L'homme que j'avais aimé venait de prononcer ma condamnation à mort sociale. Et ce faisant, il avait signé la fin de tout ce qui avait existé entre nous.
Je n'avais plus d'illusions. Je n'avais plus d'espoir. Je n'avais plus d'amour pour lui.
Seulement un dégoût infini.