En entrant, une odeur de parfum que je ne connaissais que trop bien a agressé mes narines. Le parfum de Sophie. Sur la console de l'entrée, à la place de mes clés et du petit pot en céramique que j'avais fabriqué, se trouvaient son sac à main de créateur et une paire de lunettes de soleil. Dans le salon, un de ses châles en cachemire était négligemment jeté sur mon fauteuil préféré. Elle avait marqué son territoire.
J'ai traversé l'appartement comme un fantôme, observant chaque détail de cette invasion silencieuse. Mes livres sur la table basse avaient été poussés pour faire de la place à ses magazines de mode. Dans la salle de bain, ses produits de beauté de luxe s'alignaient à côté des miens, semblant les narguer de leur opulence.
Antoine est arrivé peu après, le visage fatigué. Il a tenté un geste d'apaisement, posant sa main sur mon épaule.
« Élise, je sais que c'est dur. Laisse-moi juste le temps de tout arranger. »
Je n'ai pas bougé. Son contact me brûlait. J'étais vide, anesthésiée par le choc.
« J'ai installé Sophie dans la chambre d'amis, » a-t-il continué, comme si c'était une faveur. « Elle est encore sous le choc. Elle a besoin de calme. »
Je n'ai rien répondu. Les mots étaient inutiles. Il ne comprenait pas, ou refusait de comprendre.
Il a soupiré, visiblement frustré par mon silence. Il est allé dans la cuisine et est revenu avec un verre d'eau.
« Tiens, bois un peu. Tu es pâle. »
J'ai regardé le verre sans le prendre. C'était un geste mécanique, vide de toute affection réelle. Il accomplissait le rôle du compagnon attentionné, mais son cœur était ailleurs.
À ce moment précis, un éclair a zébré le ciel, suivi d'un coup de tonnerre assourdissant. La pluie, qui menaçait depuis des heures, s'est abattue sur la ville avec une violence inouïe.
Presque immédiatement, un cri étouffé est venu de la chambre d'amis.
« Antoine ! »
La voix de Sophie était tremblante, infantile.
Antoine n'a pas hésité une seule seconde. Il a posé le verre d'eau sur la table, me tournant le dos sans un mot, et s'est précipité vers la chambre d'amis.
« J'arrive, Sophie ! N'aie pas peur, c'est juste un orage ! »
Je suis restée seule au milieu du salon, écoutant le son de sa voix douce et rassurante de l'autre côté de la porte. Il la calmait, lui murmurait des mots apaisants, exactement comme il le faisait pour moi quand j'avais peur. C'était notre rituel, notre secret. Et il le lui offrait, à elle.
Le tonnerre grondait dehors, mais le véritable orage était en moi. Chaque coup de foudre semblait frapper directement mon cœur.
La porte s'est rouverte quelques minutes plus tard. Antoine est sorti sur la pointe des pieds.
« Elle a une peur bleue des orages depuis qu'elle est petite, » a-t-il chuchoté, comme pour s'excuser. « Son père la laissait seule pendant les tempêtes. C'est un traumatisme. »
Il cherchait à justifier sa préférence, à rendre la fragilité de Sophie plus légitime que ma propre douleur. Il me demandait de la compassion pour elle. Pour la femme qui venait de détruire ma vie.
« Je vais rester avec elle jusqu'à ce qu'elle s'endorme, » a-t-il ajouté, évitant mon regard. « Toi, essaie de te reposer. Demain, il faudra être forte. »
Il a refermé doucement la porte, me laissant dans l'obscurité du salon, avec pour seule compagnie le bruit de la pluie et les échos de ses promesses passées.
"Je te protégerai toujours, Élise," m'avait-il juré un soir, alors que nous regardions les étoiles depuis le balcon de ce même appartement. "Personne ne te fera jamais de mal tant que je serai là."
Assise sur le canapé, le ventre noué, j'ai posé une main protectrice sur mon ventre. Je n'étais plus seule à devoir être protégée. Et l'homme qui avait juré de le faire était dans la pièce d'à côté, consolant la source de tout mon malheur.
Ce soir-là, une décision a pris racine en moi, sombre et irrévocable. Je ne serais plus la victime de sa lâcheté. Demain, il faudrait être forte. Oui. Mais pas pour lui. Pas pour affronter le scandale à ses côtés.
Pour m'enfuir. Loin de lui, loin de cette ville, loin de cette vie empoisonnée.