La soirée, qui aurait dû être une célébration, avait tourné au cauchemar. Sophie, ivre, avait pris le volant de la voiture d'Antoine et percuté un cycliste. Dans la panique, avant l'arrivée des secours, Antoine avait pris une décision. Une décision qui me sacrifiait.
Je me suis levée, mes jambes tremblaient un peu.
« Antoine, regarde-moi. »
Il a détourné la tête, son regard fuyant le mien. Seule Sophie a levé ses yeux rougis, un éclair de triomphe à peine dissimulé derrière ses larmes de crocodile.
« Élise, ne complique pas les choses, » a-t-il murmuré, sa voix rauque. « On en parlera plus tard. »
« Non. On en parle maintenant. Tu as dit à la police que c'était moi qui conduisais. Tu leur as menti. »
Ma voix était étonnamment calme, chaque mot pesant une tonne. La colère bouillait en moi, si intense qu'elle en devenait glaciale.
« Je... je n'avais pas le choix, » a-t-il bégayé, resserrant son étreinte autour de Sophie comme si elle était la victime. « Sophie était en panique, elle... elle aurait pu tout perdre. »
Son regard s'est enfin posé sur moi, mais il était vide de toute chaleur, rempli d'une pitié qui m'a retourné l'estomac.
« Et moi ? Et notre enfant ? Qu'est-ce que je suis censée perdre, Antoine ? Rien d'important, c'est ça ? »
J'ai fait un pas vers lui, et il a instinctivement reculé, tirant Sophie un peu plus derrière lui. Ce simple mouvement m'a anéantie. Il la protégeait. D'elle, la coupable. De moi, sa compagne, la mère de son futur enfant.
« Mon salon de thé, Antoine. J'ai mis toutes mes économies, toute mon énergie dedans. Mon nom est sur la devanture. Demain, quand la nouvelle sortira, que deviendra-t-il ? Que deviendrai-je ? La femme qui conduit ivre et renverse des gens ? »
Les larmes que je retenais ont commencé à couler, brûlantes de rage et de chagrin.
« Je serai la paria de tout Paris. Et toi, tu resteras le respectable Antoine Lefevre, qui a eu la malchance d'avoir une compagne irresponsable. »
Sophie a reniflé plus fort. « Ce n'est pas ce que je voulais... Élise, je suis désolée... »
« Tais-toi, » ai-je craché, sans même la regarder. Mon attention était entièrement focalisée sur l'homme que j'aimais depuis l'enfance. L'homme qui était en train de me détruire.
« Élise, sois raisonnable, » a repris Antoine, adoptant un ton condescendant. « Sophie n'est pas mariée. Un scandale pareil ruinerait son avenir, ses chances de trouver un bon parti. Toi, tu m'as. Je serai là pour toi. On traversera ça ensemble. »
Un rire amer m'a échappé.
« Ensemble ? Tu veux dire, toi debout, et moi à genoux dans la boue que tu auras jetée sur moi ? »
Il a froncé les sourcils, agacé par mon refus de coopérer.
« Ça ne durera pas. Les gens oublieront. On paiera l'amende, peut-être un peu de sursis. C'est juste un mauvais moment à passer. Pour Sophie, c'est différent. Sa réputation est tout ce qu'elle a. »
C'était la phrase de trop. La justification ultime qui a brisé le dernier fil qui me reliait à lui. Ma réputation, mon travail, ma dignité, notre enfant... tout cela pesait moins lourd dans la balance que l'avenir matrimonial de sa prétendue meilleure amie.
J'ai essuyé mes larmes d'un revers de main rageur. Le chagrin s'était transformé en une certitude froide et dure.
« Tu sais quoi, Antoine ? »
Mon ton a dû le surprendre, car il a enfin lâché Sophie pour me faire face.
« Tu as raison. Protège-la. Protège sa précieuse réputation. »
J'ai fait un pas en arrière, créant une distance physique qui reflétait le gouffre qui venait de s'ouvrir entre nous.
« Mais ne t'attends pas à ce que je sois là pour admirer le spectacle. »
J'ai tourné les talons, sans un regard en arrière. En quittant le couloir de l'hôpital, je n'ai pas seulement laissé derrière moi un homme et sa complice. J'ai laissé derrière moi l'amour de ma vie, et avec lui, toutes mes illusions.
Le cœur que je sentais se briser dans ma poitrine n'était plus celui d'une amoureuse trahie. C'était celui d'une femme qui venait de comprendre qu'elle était seule. Terriblement seule.