Ma voix était à peine un souffle.
Il a sursauté, laissant tomber la clé dans un bruit métallique qui a résonné dans le silence. Il n'a pas pu me regarder dans les yeux. Il a juste marmonné des excuses confuses, a ramassé son outil et s'est enfui comme un voleur.
Je suis restée là, immobile. La trahison de Jean, un homme que je considérais comme un ami, m'a fait plus de mal que toutes les menaces de Delacroix. Une immense lassitude m'a envahie. À quoi bon se battre si même les gens que l'on aide se retournent contre vous ? J'ai senti mes genoux fléchir et je me suis assise par terre, la tête entre les mains. Le découragement était total, un poids noir et lourd dans ma poitrine.
C'est alors que quelque chose a glissé de la poche de mon vieux pantalon de travail. Un petit objet dur. Je l'ai ramassé. C'était une vieille clé en fer, rouillée et ornée. Je l'avais trouvée la veille en rangeant de vieux livres de comptes de la grand-mère de Marc. Je n'y avais pas prêté attention, la pensant sans importance.
Mais maintenant, dans mon désespoir, elle semblait différente. Elle était lourde, concrète. Un vestige du passé, un secret potentiel. Je l'ai serrée dans ma paume. La fraîcheur du métal contre ma peau a agi comme un baume. Ce n'était pas grand-chose, mais c'était quelque chose. Une ancre dans la tempête. Une petite étincelle de curiosité qui a repoussé un peu les ténèbres.
Le lendemain, Delacroix est venu me voir, avec Céline à ses côtés. Il avait sans doute appris l'échec de la tentative de sabotage de Jean. Son visage était un masque de mépris.
« Alors, Élise ? Toujours à vous morfondre ? Jean m'a dit que vous l'aviez surpris. Pauvre homme, il est terrifié par votre folie. Il pense que vous l'avez menacé. »
Céline a ricané.
« Elle devient paranoïaque. C'est un symptôme classique. Elle voit des complots partout. »
Je me suis relevée. Lentement. J'ai regardé Delacroix droit dans les yeux. La peur avait disparu, remplacée par une colère froide et pure.
« Vous êtes un monstre. »
Il a haussé un sourcil, amusé.
« Des paroles fortes pour quelqu'un qui n'a plus rien. »
À ce moment-là, j'ai vu Jean qui passait au loin, sur le chemin. Il marchait la tête basse, l'air misérable. Il a trébuché sur une pierre et est tombé lourdement, sa cheville se tordant sous lui. Un cri de douleur lui a échappé.
Delacroix et Céline ont éclaté de rire.
« Bien fait pour lui, cet incompétent, » a lancé Delacroix.
Mais moi, sans réfléchir, j'ai couru vers Jean. Je me suis agenouillée à côté de lui. Il m'a regardée avec des yeux remplis de stupeur et de honte.
« Ma cheville... Je crois qu'elle est cassée. »
Ignorant la présence de Delacroix, j'ai déchiré un pan de ma chemise pour lui faire un bandage de fortune, pour immobiliser sa cheville du mieux que je pouvais.
« Ne bougez pas, je vais chercher de l'aide. »
Mon geste a laissé Delacroix et Céline sans voix. Ils s'attendaient à des cris, des larmes, des accusations. Pas à cet acte de compassion envers l'homme qui venait de me trahir.
Delacroix s'est approché, un étrange sourire aux lèvres. Il était complètement déconcerté, et sa façon de rationaliser ce qu'il ne comprenait pas était de le tordre pour que ça corresponde à sa vision du monde.
« Je vois... » a-t-il dit, sa voix basse et presque caressante. « C'est astucieux, Élise. Très astucieux. »
Je l'ai regardé, sans comprendre.
« Vous faites ça pour moi, n'est-ce pas ? Vous me montrez votre grandeur d'âme, votre capacité à pardonner. Vous essayez de m'impressionner. C'est une façon bien étrange de me montrer que vous tenez à moi, mais je dois avouer... c'est intrigant. »
J'ai cru que j'allais vomir. Il pensait que mon geste était pour lui. Que mon acte d'humanité était une sorte de jeu de séduction tordu, une déclaration d'amour déguisée. Son arrogance et son ego étaient si immenses qu'il était incapable d'envisager une autre réalité. Pour lui, tout tournait autour de sa personne.
J'ai soutenu son regard, et pour la première fois, ce n'est pas lui qui m'a fait peur. C'est sa folie qui m'a terrifiée.
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