L'Amour Brisé du Vigneron
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Chapitre 2

Quelques jours plus tard, alors que je tentais de remettre un peu d'ordre dans le chai, le bruit d'un moteur puissant a de nouveau déchiré le silence de la campagne. Je n'ai même pas eu besoin de regarder. Je savais que c'était lui.

La grande porte du chai a grincé en s'ouvrant, laissant entrer une lumière crue qui m'a aveuglée un instant. La silhouette imposante de Delacroix se découpait dans l'encadrement. Il est entré sans y être invité, comme s'il était déjà chez lui. L'air s'est immédiatement chargé de son autorité écrasante.

Je me suis figée, un chiffon à la main, le cœur battant à tout rompre. J'étais seule. Le dernier ouvrier fidèle à Marc avait démissionné la veille, incapable de supporter la pression et les menaces à peine voilées de Delacroix.

Il a fait quelques pas dans le chai, inspectant les cuves, les barriques, son regard passant sur tout avec l'œil d'un propriétaire. Il a finalement posé les yeux sur moi. Un sourire satisfait s'est dessiné sur ses lèvres.

« Ah, Élise. C'est bien. Je vois que vous vous occupez. Vous êtes devenue plus... raisonnable. Plus calme. C'est une bonne chose. La solitude vous forge. »

Sa condescendance était insupportable. Il interprétait mon travail acharné non pas comme un acte de résistance, mais comme une soumission. Il pensait que j'avais accepté mon sort et que je me contentais de maintenir les lieux en état pour leur futur propriétaire : lui.

Je n'ai rien dit. Serrer les dents, ne pas lui donner la satisfaction d'une réponse. C'était ma seule arme.

« Allez, venez, » a-t-il dit soudainement, d'un ton qui n'acceptait aucune discussion. « J'ai une réunion au village. Il faut que tout le monde voie que la vie continue, que le domaine Moreau n'est pas abandonné. Votre présence est nécessaire. »

Mon sang s'est glacé.

« Je ne veux pas y aller. »

Il s'est approché de moi, son ombre me recouvrant.

« Ce n'était pas une question. »

Il a attrapé mon bras. Sa poigne était ferme, sans brutalité apparente, mais c'était une prise de fer. Une prise qui disait : tu n'as pas le choix. J'ai senti une vague de panique monter en moi. J'étais prisonnière. Il me forçait à quitter mon seul refuge pour m'exposer au regard des autres, pour me parader comme son trophée.

Je me suis laissé entraîner, le corps rigide, l'esprit en ébullition. Chaque pas hors de mon domaine était une torture.

La réunion se tenait au café de la place du village. Tous les vignerons importants étaient là. Leurs regards se sont tournés vers nous quand nous sommes entrés. J'ai vu de la pitié dans certains, du mépris dans d'autres. Mais surtout, de la peur. Personne n'osait affronter Delacroix.

Il m'a installée à une table, comme on place un objet. C'est là que je l'ai vue. Céline. Sa fille. Belle, élégante, avec le même regard froid que son père. Elle est venue vers nous, un sourire mielleux aux lèvres.

« Élise, ma chère. Comme je suis contente de te voir. Tu as l'air si fatiguée. Papa, tu devrais la laisser se reposer. »

Ses mots étaient mielleux, mais ses yeux disaient autre chose. Ils brillaient d'une victoire cruelle. Elle s'est assise à côté de moi, et alors que son père se tournait pour parler à un autre vigneron, elle a fait un geste maladroit. Son verre de vin rouge s'est renversé, se déversant entièrement sur ma robe blanche. Une robe simple, mais la seule que j'avais qui soit encore présentable.

« Oh, mon Dieu ! Je suis tellement désolée ! » s'est-elle exclamée, sa voix pleine d'une fausse panique.

Tous les regards se sont tournés vers moi. La tache rouge vif s'étalait sur ma poitrine comme une blessure ouverte. C'était une humiliation publique, parfaitement orchestrée.

Delacroix s'est retourné brusquement. Il n'a pas vu le geste de sa fille, seulement le résultat. Il a vu ma robe tachée, mon visage fermé, et il a vu Céline, l'air contrit et victime.

Son visage s'est assombri de colère. Mais cette colère n'était pas dirigée contre sa fille.

« Élise ! » a-t-il grondé à voix basse, pour que seuls nous entendions. « Vous ne pouvez pas faire attention cinq minutes ? Vous êtes d'une maladresse incroyable ! Vous nous faites honte ! »

Avant que je puisse dire un mot, sa main a frappé la table avec une force terrible. Le bruit a fait sursauter tout le monde. Les verres ont tremblé. Mon cœur a manqué un battement.

Il ne m'avait pas touchée, mais la violence de l'acte était claire. C'était un avertissement. Une punition. Il venait de détruire le peu de dignité qu'il me restait, mon fragile abri de normalité. Il avait transformé un simple café en une scène de tribunal où j'étais, encore une fois, la coupable désignée. Et tout le monde regardait, silencieux et complice.

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