L'Amour Brisé du Vigneron
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Chapitre 3

La scène au café n'était qu'un début. Delacroix semblait prendre un plaisir sadique à m'humilier publiquement. Quelques jours plus tard, il a organisé une sorte de réception dans son propre domaine, invitant tout le ban et l'arrière-ban de la viticulture locale. Et il m'a forcée à venir.

« C'est pour montrer que nous sommes civilisés, » avait-il dit. « Que malgré le crime de votre mari, il n'y a pas d'animosité. »

C'était un mensonge, bien sûr. C'était une démonstration de pouvoir.

Je me tenais dans un coin de son immense jardin, me sentant plus seule que jamais. Céline est venue vers moi, son visage exprimant une fausse inquiétude.

« Élise, tu as l'air si pâle. Est-ce que ça va ? »

Puis, elle a élevé la voix pour que son père, qui discutait non loin, puisse entendre.

« Papa, je m'inquiète pour Élise. Elle est si... fragile. Elle n'arrête pas de dire des choses étranges sur Marc, qu'il est innocent, qu'on lui a tendu un piège. Je crois que le choc l'a... perturbée. »

Delacroix s'est approché, le front plissé par une fausse préoccupation qui masquait mal sa fureur.

« Élise, est-ce vrai ? Vous continuez à raconter ces histoires ? Je vous avais prévenue. Marc est un criminel. Acceptez-le. Votre obstination est une insulte à toutes les personnes qu'il a blessées. C'est une insulte à ma famille ! »

Sa voix a porté. Des conversations se sont tues. Des têtes se sont tournées vers nous. Les invités se sont rapprochés, curieux d'assister au spectacle. Leurs murmures étaient comme des piqûres.

« Pauvre fille, elle a perdu la tête. »

« Delacroix est bien patient avec elle. »

« Elle salit la mémoire de son mari, qui était déjà un vaurien. »

Je me sentais prise au piège. La chaleur, les regards, les mensonges... tout m'oppressait. J'ai commencé à trembler, pas de peur, mais de rage et d'épuisement. C'était une véritable torture physique. Mes tempes bourdonnaient. J'avais l'impression que la force qui m'avait soutenue jusqu'ici, cette petite flamme d'espoir, était en train de s'éteindre. Je me sentais faible, incapable de puiser dans cette résilience qui m'avait permis de tenir.

Céline a posé une main sur mon bras, l'air compatissant.

« Tu vois, Papa, elle ne va pas bien. Elle tremble. C'est sûrement de la fièvre. »

Puis, se tournant vers les invités les plus proches, elle a ajouté d'un air navré :

« C'est terrible. Parfois, j'ai l'impression qu'elle se fait du mal pour attirer l'attention. C'est une sorte de chantage affectif. C'est triste de voir jusqu'où le désespoir peut mener. »

Ses mots étaient du poison. Elle me faisait passer pour une folle manipulatrice. Elle transformait ma souffrance réelle en une comédie, un plan tordu pour gagner de la sympathie.

La coupe était pleine. J'ai repoussé sa main.

« Ne me touchez pas. »

Ma réaction a été l'étincelle que Delacroix attendait. Son visage s'est transformé en un masque de fureur glaciale.

« Assez ! »

Il m'a attrapée par le haut du bras, ses doigts s'enfonçant dans ma chair. La douleur était vive, aiguë. Il m'a tirée un peu à l'écart, derrière un bosquet, loin des regards les plus directs mais toujours à portée de voix.

« Je suis fatigué de vos comédies, Élise. Fatigué de votre arrogance. Vous pensez pouvoir me défier ? »

Il a serré plus fort. J'ai grimacé de douleur.

« On va voir si vous êtes vraiment si forte. On va voir si vous tenez vraiment à ce misérable lopin de terre. »

Son autre main s'est dirigée vers la poche de sa veste. Il en a sorti un briquet. Un simple briquet en métal argenté qui brillait sous le soleil couchant. Il l'a fait claquer. Une flamme a jailli, droite et menaçante.

« Vous aimez tant vos vignes, n'est-ce pas ? » a-t-il murmuré, ses yeux brillant d'une lueur cruelle. « Elles sont tout ce qui vous reste de lui. Voyons à quel point vous y tenez. »

Il a lâché mon bras pour attraper une mèche de mes cheveux. Mon cœur s'est arrêté de battre.

« Un petit test, Élise. Juste pour voir si vous êtes prête à tout sacrifier. »

La flamme s'est approchée de mon visage, de mes cheveux. Je pouvais sentir sa chaleur sur ma peau. C'était une folie pure. Une cruauté sans nom.

Puis, il s'est arrêté. Il n'a pas mis le feu. Il a éteint la flamme avec un claquement sec. Mais son but était atteint. Il m'avait terrorisée, humiliée, poussée au-delà de mes limites.

Il a ensuite tourné son regard vers Jean, l'un des vignerons du village qui se tenait non loin, pâle et mal à l'aise. Jean avait une petite exploitation qui luttait pour survivre, et je l'avais aidé quelques mois auparavant en lui prêtant du matériel.

Delacroix a parlé d'une voix forte et claire, pour que Jean entende parfaitement.

« Jean, mon ami. Votre récolte s'annonce difficile cette année, n'est-ce pas ? J'ai entendu dire que vous aviez des problèmes financiers. C'est dommage. Une aide serait la bienvenue, je suppose. Un contrat pour me vendre vos raisins à un très bon prix, par exemple... »

Il a laissé la proposition en suspens, l'air chargé de menaces et de promesses. Puis son regard est revenu sur moi, froid et calculateur.

« ... il suffirait de si peu de choses pour l'obtenir. Par exemple, m'aider à convaincre cette jeune femme têtue que son combat est inutile. Peut-être en... accélérant un peu la dégradation de son domaine. Un accident est si vite arrivé. »

Il me mettait à la merci d'un autre. Il transformait un homme que j'avais aidé en mon potentiel bourreau. Il me laissait là, tremblante, le cœur en miettes, face à un dilemme moral qui n'était même pas le mien. C'était le summum de sa cruauté : me détruire en corrompant les autres.

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