En fermant la porte, j'ai entendu le son de la clé qui tournait dans la serrure de l'extérieur. Ils m'enfermaient. Autrefois, l'idée d'être piégée dans cette petite pièce austère m'aurait terrifiée. C'était leur punition favorite quand j'étais enfant : l'isolement.
Mais ce soir, je n'ai ressenti aucune peur. Juste un vide immense et une étrange tranquillité. Assise sur mon lit, je regardais les murs nus. Il n'y avait rien de personnel ici, pas de photos, pas de posters, juste un lit, un bureau et une armoire. Ma chambre était le reflet parfait de ma place dans cette famille : fonctionnelle et sans âme.
Le temps a passé. J'ai entendu des murmures agités en bas, puis la voiture de mon père qui démarrait. Ils avaient sûrement emmené Louis à l'hôpital ou chez un médecin. Bien. Qu'ils s'occupent de leur précieux fils.
Plus tard dans la soirée, mon téléphone a vibré sur la table de chevet. C'était ma mère. J'ai hésité, puis j'ai décroché.
"Estelle," a-t-elle commencé, sa voix mielleuse, comme si rien ne s'était passé. "J'appelle pour te dire que nous te pardonnons."
Je n'ai rien répondu. Le mot "pardonner" venant d'elle était une insulte.
"Ton père et moi, on a réfléchi," a-t-elle poursuivi. "On a peut-être mal compris la situation avec la robe. C'était un malentendu. Mais tu dois comprendre que frapper ton frère était une réaction excessive."
Elle a fait une pause, attendant une réponse que je ne lui ai pas donnée.
"Sophie est très affectée par tout ça," a-a-t-elle enchaîné, changeant de tactique. "Elle se sent terriblement coupable. Elle n'arrête pas de pleurer, elle pense que tout est de sa faute. Elle est si sensible, tu sais."
L'image de Sophie, l'instigatrice de toute cette soirée, pleurant de culpabilité était si absurde que j'ai failli rire. C'était leur technique habituelle : transformer l'agresseur en victime pour me charger de toute la culpabilité.
"Pour lui changer les idées, et pour que nous puissions tous nous remettre de cet... incident, nous avons décidé de partir quelques jours. Un petit voyage en famille pour nous ressourcer. Nous partons demain matin."
J'ai attendu la suite, sachant très bien ce qu'elle allait dire.
"Toi, tu resteras ici. Ça te donnera le temps de réfléchir à ton comportement. De faire une introspection. C'est pour ton bien, Estelle."
Être laissée seule n'était plus une punition, c'était une opportunité. Une porte de sortie. Mon cœur a commencé à battre plus vite, mais pas de peur. D'excitation.
"On ne part pas longtemps, juste quelques jours," a-t-elle ajouté, comme pour me rassurer. "Quand on reviendra, on te rapportera un petit cadeau. Pour te montrer qu'on ne t'en veut pas."
Un cadeau. Le mot m'a paru si dérisoire, si pathétique. Après m'avoir humiliée, agressée, enfermée, ils pensaient qu'un bête souvenir de voyage pourrait tout effacer.
"D'accord," ai-je simplement dit, ma voix neutre.
Mon acceptation si facile a semblé la surprendre. "Bien... C'est bien, Estelle. Repose-toi bien. On se parle à notre retour."
Elle a raccroché.
Je suis restée assise dans le noir, le téléphone à la main. Un cadeau. J'ai repensé à toutes les promesses de cadeaux jamais tenues, à tous les anniversaires oubliés, à toutes les fêtes de Noël où mes cadeaux étaient des livres d'école ou des vêtements pratiques, tandis que Sophie et Louis croulaient sous les jouets et les gadgets dernier cri.
Cette fois, je n'attendais rien. Je ne voulais rien. Leur absence était le plus beau cadeau qu'ils pouvaient me faire.
Ils partaient en "voyage en famille". Une famille dont je ne faisais manifestement pas partie. Ils me laissaient dernière, seule, pour "réfléchir".
Oh, j'allais réfléchir. Mais pas de la manière dont ils l'imaginaient. J'allais utiliser ce temps pour préparer ma libération.
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