Chapitre 4

Une fois dans notre chambre, j'ai fermé la porte à clé. J'ai posé la bouteille d'eau sur la coiffeuse, la regardant comme si c'était un serpent. Je ne savais pas ce qu'elle contenait, juste que c'était dangereux. Mon cœur battait la chamade. Je ne pouvais plus continuer à jouer défensif. Il fallait que j'expose Léa.

J'ai attendu une dizaine de minutes, le temps que la plupart des invités partent. Puis j'ai rouvert la porte et je suis descendue.

Marc, Léa et Monsieur Bernard, notre médecin de famille qui était aussi un ami, étaient dans le salon, en train de discuter. C'était l'occasion parfaite.

J'ai marché jusqu'au milieu de la pièce, la bouteille d'eau à la main.

« Marc, » ai-je dit, ma voix forte et claire, résonnant dans le silence soudain.

Ils se sont tous tournés vers moi.

« Léa vient de me donner cette bouteille d'eau. Elle a insisté pour que je la boive. »

J'ai fait une pause, laissant le poids de mes paroles s'installer.

« Je refuse. Parce que cette eau est empoisonnée. »

Un silence de mort est tombé. Marc m'a regardée, le visage décomposé par le choc et l'incrédulité.

« Claire ! Qu'est-ce que tu racontes ? Tu as perdu la tête ? »

Monsieur Bernard s'est levé, le visage grave.

« Empoisonnée ? Claire, ce sont des accusations très sérieuses. »

Léa, comme je m'y attendais, a fondu en larmes. Mais cette fois, elle a fait plus. Elle s'est jetée à genoux sur le tapis persan, ses petites mains jointes comme si elle priait.

« Non ! Ce n'est pas vrai ! » a-t-elle hurlé, le visage ruisselant de larmes. « Je voulais juste être gentille ! Je voulais juste prendre soin de Claire et des bébés ! Pourquoi tu dis ça ? Pourquoi tu es si méchante avec moi ? »

C'était un spectacle digne d'une tragédie grecque. C'en était presque admirable de perversité.

Marc s'est précipité vers elle, mais je l'ai arrêté d'un geste.

« Attends. Si je me trompe, c'est facile à prouver. »

Je me suis tournée vers Monsieur Bernard.

« Vous êtes médecin. Vous pouvez vérifier. S'il vous plaît. Vérifiez cette eau. »

Monsieur Bernard a hésité, puis a hoché la tête.

« Donnez-la-moi. »

Il a pris la bouteille, l'a dévissée avec précaution, a reniflé le contenu, puis en a versé une petite goutte sur son doigt pour la goûter, avec une prudence professionnelle. Il a froncé les sourcils, a goûté à nouveau.

Le silence était insoutenable. Léa avait arrêté de pleurer et regardait, le souffle court.

Enfin, le médecin a relevé la tête.

« Claire... C'est de l'eau. De l'eau minérale tout à fait normale. Il n'y a absolument rien dedans. »

Mon cœur a sombré. Comment était-ce possible ? J'avais entendu leurs pensées !

Léa a poussé un cri de soulagement et de douleur mêlés, puis s'est remise à sangloter de plus belle.

« Tu vois ? Tu vois, papa ? Elle m'accuse ! Elle me déteste ! »

Le regard de Marc s'est durci comme de la pierre. Il s'est approché de moi, sa voix un murmure glacial.

« Ça suffit, Claire. Ça suffit. Je ne sais pas ce qui te prend, si ce sont les hormones ou une sorte de jalousie post-natale anticipée, mais tu es en train de terroriser ma fille. Tu lui fais du mal. »

« Mais Marc, je... »

« Il n'y a pas de mais ! » a-t-il explosé. « Tu as accusé une enfant de dix ans de tentative de meurtre devant notre médecin ! Tu te rends compte de la folie de la situation ? »

Je me sentais piégée, humiliée. Léa avait gagné. Elle m'avait fait passer pour une folle paranoïaque.

C'est ça. Personne ne te croira jamais. Tu es seule.

La pensée de Léa était un poignard de glace dans mon esprit.

Elle a alors porté le coup de grâce. Elle s'est relevée, a essuyé ses larmes avec le dos de sa main et a dit d'une petite voix brisée :

« Je ne peux plus rester ici. Claire ne m'aime pas. Elle ne veut pas de moi. Je vais faire mes valises. Je vais aller vivre chez Tante Sophie. »

C'était le chantage ultime. L'évocation de Sophie, la femme que Marc méprisait, était calculée pour le faire paniquer.

Et ça a marché.

« Non ! » a crié Marc. « Tu ne vas nulle part ! C'est ta maison ! »

Il s'est tourné vers moi, le visage déformé par la colère et la peur.

« C'est de ta faute ! Regarde ce que tu as provoqué ! Tu vas t'excuser. Maintenant. Tu vas t'excuser auprès de Léa et lui promettre d'arrêter ce cirque. »

Me demander de m'excuser auprès de celle qui essayait de me tuer. La bile m'est montée à la gorge.

Je l'ai regardé, lui, l'homme que j'aimais, complètement aveuglé par une enfant manipulatrice. Et j'ai compris que j'étais seule dans ce combat.

Léa avait non seulement déjoué mon attaque, mais elle avait retourné mon mari contre moi. Elle était bien plus intelligente et cruelle que je ne l'avais imaginé.