Quelques jours plus tard, alors que je préparais les documents pour mon avocat, mon téléphone a sonné. C'était Antoine. J'ai hésité, puis j'ai décroché. Je ne voulais pas lui parler, mais il pouvait s'agir de Louis.
« Quoi ? »
« Camille, il faut que tu viennes. C'est l'anniversaire de mon père ce soir. On fait un dîner en famille. Louis réclame sa mère. »
Sa voix était neutre, presque un ordre.
« Un dîner de famille ? Tu plaisantes, j'espère. »
« Ce n'est pas pour moi, c'est pour Louis. Il est triste, il ne comprend pas. Fais-le pour lui. Sois là à vingt heures. »
Et il a raccroché. Il utilisait notre fils comme un bouclier, comme une arme. Je le détestais pour ça. Mais il avait raison sur un point. Louis souffrait. J'ai appelé mon fils. Sa petite voix au téléphone m'a brisé le cœur. "Maman, tu viens à la fête de Papi ? S'il te plaît ?"
Je ne pouvais pas lui dire non. J'ai ravalé ma fierté et ma colère. J'irais. Pour Louis.
Je suis arrivée à vingt heures précises dans la maison de ses parents, un hôtel particulier à Neuilly. La porte était ouverte. Dès que je suis entrée dans le salon, j'ai compris le piège.
Ils étaient tous là. Antoine, ses parents, son frère et sa femme. Et Manon.
Elle était assise sur le canapé, près de la cheminée. Louis était sur ses genoux, et elle lui lisait une histoire. Il riait. La mère d'Antoine, une bourgeoise glaciale qui ne m'avait jamais aimée, lui souriait avec une affection que je n'avais jamais reçue en huit ans. C'était une scène de famille parfaite. Et j'étais l'intruse.
Personne n'a semblé remarquer mon arrivée. J'ai traversé la pièce, mon cœur battant à tout rompre.
« Louis, mon chéri. »
Mon fils a levé la tête. Il m'a vue, et son sourire a disparu. Il s'est accroché à Manon, comme s'il avait peur.
« Maman. »
Sa voix était petite, timide. J'ai tendu les bras pour le prendre.
« Viens voir maman. »
Il a secoué la tête et a enfoui son visage dans le cou de Manon. Ça m'a fait mal. Une douleur physique.
Manon m'a regardée par-dessus la tête de mon fils, son expression un mélange de pitié et de supériorité.
« Il est un peu timide en ce moment. Il faut lui laisser le temps. N'est-ce pas, mon trésor ? J'ai fait des cookies pour toi, tout à l'heure. Tu les as adorés, non ? »
Elle me provoquait. Ouvertement. Devant tout le monde.
C'en était trop. La digue a cédé.
« Ne l'appelle pas "mon trésor". »
Ma voix était basse, mais chargée de fureur. Tout le monde s'est tu.
Manon a levé un sourcil.
« Pardon ? »
« J'ai dit, a-rête de l'appeler "mon trésor". Tu n'es rien pour lui. Tu n'es qu'une apprentie qui couche avec son patron marié. Reste à ta place. »
Le silence est devenu électrique. Antoine s'est levé d'un bond, son visage rouge de colère.
« Camille ! Ça suffit ! Excuse-toi tout de suite ! »
« M'excuser ? De dire la vérité ? C'est toi qui devrais t'excuser ! D'amener ta maîtresse aux dîners de famille, de la laisser jouer à la mère avec mon fils ! »
« Tu n'es plus sa mère à plein temps ! Tu as choisi de partir ! Manon est là pour lui, elle s'en occupe ! Elle est plus une mère pour lui que tu ne l'as été ces dernières semaines ! »
Chaque mot était un coup de poignard. Ses parents hochaient la tête, l'air approbateur. Ma belle-mère a ajouté son venin.
« Il a raison. Tu n'as jamais été à la hauteur. Toujours à te plaindre. Manon est une jeune femme douce et dévouée. »
J'ai éclaté d'un rire qui ressemblait à un sanglot.
« Dévouée ? Vous êtes pathétiques. Tous. »
Antoine s'est approché de moi, menaçant.
« Tu vas quitter cette maison. Et tu ne verras pas Louis tant que tu ne te seras pas excusée auprès de Manon. »
Il essayait de me punir, de me mater. Mais il ne voyait pas que la femme qu'il avait connue n'existait plus.
Je l'ai regardé avec un mépris infini.
« Tu peux toujours courir. »
Je me suis retournée pour partir. Il m'a attrapée par le bras pour me retenir.
« Tu ne t'en tireras pas comme ça. »
Son père s'est levé à son tour.
« Laisse-la partir, Antoine. Cette fille est une souillure pour notre nom. On aurait dû t'écouter, mon fils, quand tu disais qu'elle n'était pas de notre monde. »
Sa mère a renchéri.
« Une petite pâtissière de quartier... On ne peut pas faire d'une oie un cygne. »
L'insulte de trop. La goutte d'eau qui a fait déborder un vase déjà plein à craquer. Quelque chose en moi s'est brisé. Ou peut-être, quelque chose s'est enfin libéré.
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