Sa voix était douce, mais impatiente. Comme s'il cochait une case sur une liste de tâches. J'ai obéi, mes doigts tremblants défaisant le ruban. La montre était en or rose, le cadran serti de diamants discrets. Un bijou de reine. Un bijou pour une femme qu'il n'aimait plus.
J'ai levé les yeux vers lui, la boîte encore ouverte entre mes mains.
« C'est très beau, Antoine. Merci. »
Il a hoché la tête, satisfait, et a porté sa coupe de champagne à ses lèvres. C'était le moment. Je ne pouvais plus reculer.
« Je veux divorcer. »
Le champagne s'est arrêté à mi-chemin. Son sourire s'est figé. Il a reposé sa coupe lentement, très lentement.
« Qu'est-ce que tu as dit ? »
« J'ai dit que je veux divorcer, Antoine. »
Un silence glacial est tombé sur notre table, si épais qu'on aurait pu le couper au couteau. Autour de nous, le service continuait son ballet feutré, les clients riaient, personne ne se doutait du drame qui se jouait.
Juste à ce moment-là, une jeune femme s'est approchée de notre table, le visage en larmes. Manon Lefevre. Sa jeune apprentie, sa protégée. Sa maîtresse.
« Chef... Excusez-moi de vous déranger... C'est la sauce... Je l'ai ratée... Le chef de partie m'a crié dessus... »
Elle sanglotait, regardant Antoine avec des yeux de biche effarouchée. Je la regardais, et je sentais le mépris monter en moi. Pas pour elle, pas vraiment. Pour lui.
Antoine s'est immédiatement tourné vers elle, toute son attention focalisée sur sa détresse. Son visage, si dur une seconde avant, s'est adouci.
« Chut, Manon, ce n'est rien. Viens, on va arranger ça. Ne pleure pas. »
Il s'est levé, a posé une main réconfortante sur son épaule, me tournant complètement le dos. Il ne m'a pas jeté un regard, n'a rien dit à propos de ce que je venais de lâcher. C'était comme si je n'existais pas. Comme si ma bombe n'était qu'un pétard mouillé.
Alors qu'il commençait à s'éloigner avec elle, il s'est retourné à moitié, son visage de nouveau une-expression de marbre.
« On en reparlera. Si c'est ce que tu veux. »
Puis il est parti, la consolant, la guidant vers les cuisines. Il l'avait choisie. Encore une fois. Devant moi.
Je suis restée seule à la table, avec la montre de luxe et le goût amer de l'humiliation.
Ce soir-là, je ne suis pas rentrée tout de suite. J'ai marché le long de la Seine, laissant le vent froid me gifler le visage. Quand je suis finalement rentrée dans notre immense appartement bourgeois du 16ème arrondissement, il était là, dans le salon. Il lisait un magazine de cuisine, comme si de rien n'était.
Il n'a pas levé les yeux quand je suis entrée.
« Tu as pris ton temps. »
Je n'ai pas répondu. Je suis allée dans la cuisine me servir un verre d'eau. Il m'a suivie.
« Tiens. »
Il a posé une carte de crédit noire sur le comptoir.
« Prends ça. Achète-toi ce que tu veux. Une voiture, des bijoux... Ça te calmera peut-être les nerfs. »
J'ai regardé la carte. Une American Express Centurion. Illimitée. Sa façon de tout régler. L'argent. Toujours l'argent. Pour acheter mon silence, ma complaisance.
« Je ne veux pas de ton argent, Antoine. Je veux ma liberté. »
Il a soupiré, exaspéré, comme si j'étais une enfant capricieuse.
« Arrête ton cinéma, Camille. On a une vie parfaite. Une belle maison, un fils, un empire. Tu as tout ce dont une femme peut rêver. Qu'est-ce que tu veux de plus ? »
« Toi. Je te voulais, toi. Mais tu n'es plus là. Tu as été remplacé par ce... ce monstre d'ego qui ne pense qu'à ses étoiles et à sa prochaine conquête. »
Il a ri. Un rire sec, méprisant.
« Ne sois pas ridicule. »
« Ridicule ? Tu sais seulement que Louis a un spectacle à l'école demain ? Que c'est le rôle principal ? Non, bien sûr que non. Tu étais trop occupé à... consoler ton apprentie. »
Son visage s'est durci.
« Ne mêle pas Louis à ça. »
« Je ne le mêle à rien ! C'est toi qui l'ignores ! Tu sais qui m'a parlé du spectacle ? Manon. Elle est venue me voir cet après-midi, toute mielleuse. "Oh, Camille, j'espère qu'Antoine pourra se libérer pour le petit Louis, ce serait si important pour lui." Elle s'est installée dans ta vie, dans ton lit, et maintenant elle essaie de s'installer dans la vie de mon fils ! »
La colère montait en moi, une vague brûlante que j'avais contenue pendant des mois, des années.
Il m'a attrapée par le bras, sa poigne était forte.
« Tu vas te calmer. Tout de suite. »
J'ai regardé sa main sur mon bras, puis j'ai levé les yeux vers lui. Pour la première fois, je n'ai pas vu de la peur dans mon propre reflet dans ses yeux. J'ai vu une flamme.
D'un geste brusque, je me suis dégagée. J'ai sorti la montre de mon sac à main, celle qu'il m'avait offerte quelques heures plus tôt. Je ne l'ai pas ouverte. Je lui ai jeté la boîte en velours à la figure.
Elle l'a heurté en pleine poitrine, avec un bruit sourd.
« Garde-la. Offre-la à Manon pour votre premier anniversaire officiel. Moi, pour le mien, je m'offrirai des papiers de divorce. »
Et sur ces mots, je lui ai tourné le dos, et je suis partie dans notre chambre, claquant la porte derrière moi. Le silence qui a suivi était plus assourdissant que n'importe quel cri.
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