La porte s'est ouverte. J'ai reconnu le parfum de Catherine avant même qu'elle ne parle.
« Alexandre, tu es réveillé. C'est une bonne nouvelle. »
Sa voix était plate, sans émotion.
« Je ne vois rien, » ai-je dit, ma propre voix rauque et faible.
« Je sais, » a-t-elle répondu. « Les médecins ont fait tout ce qu'ils pouvaient. Les dommages étaient trop importants. C'est permanent. Tout comme... les autres séquelles. Mais ne t'inquiète pas. Tu resteras ici. Nous prendrons soin de toi. Tu ne manqueras de rien. »
Je ne manquerais de rien. Comme un animal de compagnie bien nourri dans une cage dorée.
La rage a bouilli en moi, mais j'ai gardé mon visage aussi neutre que possible.
Je devais jouer le jeu. Celui du fils brisé et résigné.
« Sophie est là, » a annoncé Catherine. « Elle tenait à te voir, à te présenter ses excuses. »
Sophie est entrée. J'ai senti son parfum floral, un parfum que j'associais autrefois à l'amour et qui maintenant me donnait la nausée.
Sa voix était pleine d'une pitié feinte.
« Alex... je suis tellement désolée. Je n'aurais jamais dû... »
« Ce n'est pas ta faute, Sophie, » l'ai-je interrompue, ma voix délibérément vide. « C'est la mienne. Mère a raison. J'étais... imprudent. »
Je sentais leur surprise. Ils s'attendaient à des cris, des accusations. Pas à cette acceptation docile.
« Je pense que... il serait préférable que nous annulions nos fiançailles, » ai-je continué. « Tu mérites d'être heureuse. Avec quelqu'un de complet. Avec Marc. »
Le silence de Sophie était éloquent. C'était exactement ce qu'elle voulait entendre.
« Si c'est ce que tu veux..., » a-t-elle finalement murmuré.
« C'est ce que je veux. »
Je les ai entendus partir, soulagés.
Je leur avais donné ce qu'ils voulaient : un invalide inoffensif qui acceptait son sort.
Parfait.
Maintenant, je pouvais commencer à agir.
J'ai attendu la nuit. J'ai attendu que l'infirmière de garde fasse sa ronde et s'installe à son poste pour lire.
Avec une lenteur infinie, j'ai tendu la main vers la table de chevet. Mes doigts ont exploré la surface, cherchant l'objet que j'avais repéré avant de perdre la vue.
Mon téléphone portable.
Ils avaient été assez négligents pour le laisser là, pensant qu'il était inutile à un aveugle.
Mes doigts, malgré leurs blessures encore douloureuses, ont trouvé les touches. J'ai composé un numéro que je connaissais par cœur.
Un numéro qui n'appartenait pas à ce monde de luxe et de trahison.
Un numéro de la rue.
Ça a sonné deux fois.
« Ouais ? »
La voix était brute, méfiante. C'était Léo. Un ami, un vrai. Un de ceux que j'avais connus avant que les Dubois ne me "récupèrent". Des orphelins comme moi, qui avaient grandi en se battant pour chaque morceau de pain.
« Léo, c'est Alex. »
Un silence. Puis :
« Putain, Alex ! On a lu les journaux... On pensait... Merde, mec, tu es vivant ? »
« Vivant, » ai-je dit. « Mais pas en bon état. J'ai besoin de votre aide. »
Il n'y a eu aucune hésitation.
« Dis-nous ce qu'il te faut. On est là. Toujours. »
La loyauté simple et directe de ses mots était un baume sur mon âme dévastée. C'était la seule chose authentique qu'il me restait.
« J'ai besoin de savoir où est mon père, Henri Dubois. Ma mère prétend qu'il est en voyage, mais je sais que c'est un mensonge. Je l'ai entendu ici. »
« Henri... on s'en souvient. Un type bien, » a dit Léo. « On s'en occupe. Donne-nous 24 heures. »
« Il y a autre chose, Léo. L'homme qui se cache derrière tout ça s'appelle Étienne Fournier. Il était le chauffeur de ma mère. Il est censé être mort. »
« Fournier, » a répété Léo. « On va chercher. Reste tranquille, Alex. Fais le mort. On te recontacte sur ce numéro. »
La ligne a coupé.
J'ai reposé le téléphone, mon cœur battant avec une force nouvelle.
L'espoir.
C'était une petite flamme vacillante dans les ténèbres, mais c'était suffisant.
Moins de 24 heures plus tard, mon téléphone a vibré. C'était Léo.
« On a trouvé ton père, Alex. »
Sa voix était sombre.
« Il n'est pas en voyage. Il est interné à la clinique psychiatrique "Les Jardins Sereins", à l'extérieur de la ville. »
« Les Jardins Sereins... » ai-je répété. C'était un établissement privé, très cher.
« Ouais, » a continué Léo. « Et devine qui dirige cette charmante petite boutique ? Un certain Étienne Fournier. Ton chauffeur "mort". Et devine qui finance généreusement la clinique depuis des années ? Ta mère, Catherine Dubois. »
Les pièces du puzzle se sont assemblées avec une clarté effroyable.
Mon père n'était pas seulement interné.
Il était le prisonnier personnel de l'amant de ma mère, dans une prison dorée qu'elle finançait elle-même.
« Alex ? T'es là ? » a demandé Léo, inquiet.
« Je suis là, » ai-je répondu, ma voix un murmure glacé. « Léo, dis-moi tout ce que vous savez sur ce qui se passe à l'intérieur. »
« C'est pas joli, mec. On a un contact, une aide-soignante. Elle dit que ton père est traité comme un animal. Ils le droguent en permanence, le maintiennent dans un état de confusion. Parfois, ils le... "punissent". Privation de nourriture, isolement, électrochocs... »
Chaque mot était un marteau qui frappait mon crâne.
Mon père. L'homme bon et doux qui m'avait toujours montré un amour inconditionnel, le seul qui l'ait jamais fait.
Torturé.
Seul.
Pendant des années.
La rage en moi n'était plus une flamme.
C'était un incendie.
Un incendie qui allait tout consumer sur son passage.