« Marc a peut-être été un peu trop zélé, mais il a fait ce qu'il fallait. Alexandre a toujours eu cette ambition stupide, cette façon de me regarder comme si je lui devais quelque chose. Il voulait prendre la place qui revient de droit à Marc. »
Une voix masculine, professionnelle et grave, a répondu. C'était un médecin.
« Madame Dubois, je comprends votre... point de vue. Mais l'état de votre fils est critique. Ses yeux ont été lacérés. Même avec les meilleures technologies, il y a un risque très élevé de cécité permanente. Et... les blessures qu'il a subies... il est très probable qu'il soit stérile. »
Un silence. Pas un silence de choc ou de chagrin. Un silence froid, d'évaluation.
Puis la voix de Catherine, encore plus glaciale.
« La cécité ? La stérilité ? C'est... regrettable. Mais cela simplifie les choses. Pas d'héritier pour contester la place de Marc. Faites le minimum vital, docteur. Assurez-vous qu'il survive. C'est tout ce que je demande. Pas de traitements de pointe, pas de miracles coûteux. Juste qu'il respire. »
Le souffle m'a manqué. Elle ne voulait pas seulement me détruire, elle voulait me maintenir en vie comme un trophée de sa victoire, un être brisé et impuissant.
Le médecin a protesté faiblement.
« Mais, Madame, avec des soins appropriés... »
« Docteur, » l'a coupé Catherine, sa voix ne tolérant aucune discussion, « vous êtes payé par la maison Dubois. Vous ferez ce que je dis. Est-ce clair ? »
J'ai entendu le médecin soupirer, un son de défaite.
« Très clair, Madame Dubois. »
Puis j'ai entendu la voix de Sophie, hésitante, presque un murmure.
« Catherine... peut-être que nous devrions... »
« Tais-toi, Sophie, » a sifflé Marc, qui devait être entré dans la pièce. « Ne commence pas à avoir des remords. Tu as fait ton choix. Tu seras ma femme, la future Madame Dubois. Tu auras tout ce que tu as toujours voulu. N'est-ce pas ce qui compte ? »
J'ai senti une main douce et tremblante effleurer la mienne pendant une seconde, avant de se retirer brusquement. Sophie.
Elle était faible, manipulée, mais complice. Sa pitié ne valait rien. Elle m'avait livré à mes bourreaux.
La porte s'est refermée. J'étais de nouveau seul avec le son de ma propre respiration faible et le bip régulier des machines.
J'ai entendu ma mère parler à nouveau, plus doucement cette fois, au téléphone.
« Étienne... oui, c'est fait... Marc a été parfait... Oui, Henri est toujours sous contrôle. Personne ne saura jamais... Notre fils aura tout. »
Étienne. Il n'était pas mort. Ce salaud, l'amant de ma mère, le père de Marc, était vivant et tirait les ficelles dans l'ombre.
Et mon père, Henri, était leur prisonnier.
Une rage froide a commencé à remplacer le désespoir.
Je devais survivre.
Je devais faire semblant.
J'ai forcé mon corps à rester immobile, ma respiration à rester régulière. J'ai joué le comateux.
Chaque fibre de mon être hurlait. La douleur physique était un feu constant, mais la douleur de la trahison était un abîme sans fond.
Sophie.
Je me suis souvenu de nos rires, de ses promesses. Je me suis souvenu du jour où elle avait eu un accident de voiture et avait eu besoin d'une transfusion sanguine d'un groupe rare. Mon groupe. J'avais donné mon sang sans hésiter, heureux de pouvoir la sauver.
Elle le savait.
Elle savait que mon sang coulait dans ses veines.
Et elle m'avait regardé me faire détruire.
L'amour que j'avais pour elle s'est transformé en cendres. Il ne restait plus rien, juste un vide glacial.
Ils pensaient m'avoir anéanti.
Ils pensaient que j'étais une épave impuissante, un secret bientôt oublié.
Ils se trompaient.
Dans les ténèbres de ma conscience, une nouvelle détermination est née.
Je n'étais plus Alexandre Dubois, l'héritier naïf.
J'étais un survivant.
Et j'allais me venger.