Et Sophie serait à ses côtés, la fiancée endeuillée mais courageuse.
Un spectacle parfait.
« Tu es sûre que c'est une bonne idée ? » a demandé Sophie un soir, sa voix basse et pleine d'anxiété. « Le calomnier publiquement alors qu'il est... comme ça ? »
« C'est la meilleure idée, » a répondu Catherine, sa voix aussi tranchante qu'un éclat de verre. « Il faut que le public le voie comme un irresponsable, un fardeau. Sinon, ils se poseront des questions. Marc a besoin d'une légitimité totale. Et toi, tu as besoin de te distancer de cet échec. Tu seras la victime, celle qu'il a failli entraîner dans sa chute. C'est beaucoup plus élégant. »
Sophie n'a plus rien dit.
Le jour de la conférence de presse, ils ont ouvert les rideaux de ma chambre. Je n'ai pas vu la lumière, mais j'ai senti sa chaleur sur ma peau bandée.
J'ai entendu le chaos au-dehors. Des dizaines de journalistes, le cliquetis des appareils photo, les questions criées.
Ils m'ont roulé dans mon lit jusqu'à la fenêtre, comme une bête de foire.
Pour qu'ils me voient.
Le monstre défiguré, l'héritier déchu.
J'ai entendu la voix de Marc, amplifiée par un micro.
« Mon frère, Alexandre... a toujours été fragile. Nous avons essayé de l'aider, mais ses démons étaient trop forts. Cet accident est la terrible conclusion de ses excès. »
Puis la voix de Sophie, brisée par de faux sanglots.
« Je l'aimais... mais il était devenu quelqu'un que je ne reconnaissais plus. Je prie pour son rétablissement. »
Des mensonges. Chaque mot était un mensonge empoisonné.
J'ai entendu les flashs crépiter, les murmures choqués des journalistes.
« Regardez son état ! »
« Un vrai monstre maintenant. »
« Pauvre Sophie, elle a échappé au pire. »
La honte, l'humiliation, la rage... C'était trop.
Une seule larme, chaude et salée, a réussi à s'échapper de mon œil bandé.
Elle a roulé sur ma peau meurtrie.
Un son m'a échappé, un grognement de pure agonie.
J'ai senti mon corps trembler de façon incontrôlable.
Les infirmières se sont précipitées.
« Il fait une crise ! »
« Vite, un sédatif ! »
Ils m'ont fait une injection. Le monde a commencé à s'estomper à nouveau.
Juste avant de sombrer, j'ai senti une présence près de mon lit.
Catherine.
Elle s'est penchée vers mon oreille, son parfum de luxe m'agressant les narines.
« Repose-toi, mon fils, » a-t-elle murmuré, sa voix faussement douce. « Maman s'occupe de tout. »
Elle s'occupait de tout, en effet.
Elle s'occupait de me laisser pourrir.
Je l'ai compris quand j'ai entendu une conversation entre deux infirmières quelques jours plus tard.
« C'est étrange, le docteur Renaud n'a toujours pas programmé l'opération pour ses yeux. Avec de telles blessures, chaque jour compte. »
« Madame Dubois a donné des ordres. Traitement conservateur. Pas de chirurgie spécialisée pour l'instant. Elle dit qu'il est trop faible. »
Trop faible. Un prétexte. Elle voulait que je devienne aveugle. Elle voulait que les dommages soient irréversibles.
Le désespoir était une bête qui me rongeait de l'intérieur.
Une nuit, alors que j'étais piégé dans ce cauchemar éveillé, la porte de ma chambre s'est ouverte doucement.
Ce n'était ni une infirmière, ni Catherine, ni Marc.
Une silhouette s'est approchée.
J'ai entendu un souffle rauque, un murmure brisé.
« Alexandre... mon fils... »
Cette voix...
Je l'aurais reconnue entre mille.
C'était la voix de mon père, Henri Dubois.
Il était là.
J'ai essayé de crier, de bouger, de lui faire savoir que je l'entendais.
Mais le sédatif était trop fort. Mon corps était une prison de chair.
J'ai entendu des bruits de lutte, d'autres personnes entrant dans la pièce.
« Monsieur Dubois, vous ne pouvez pas être ici ! »
« Laissez-moi ! C'est mon fils ! Qu'est-ce que vous lui avez fait ?! »
Sa voix s'est éloignée, étouffée. On l'entraînait de force.
Puis le silence.
Mais son apparition avait changé quelque chose.
Elle avait ravivé une flamme au plus profond de moi.
Mon père était vivant. Il avait essayé de me joindre.
Je n'étais pas seul.
Je devais le trouver. Je devais le sauver.
Je devais les faire payer. Tous.