Un midi, en allant déjeuner, je les ai vus. Jean-Luc et Sophie étaient attablés à la terrasse d'un café chic, juste en face de mon bureau. Il lui tenait la main, son visage empreint d'une sollicitude exagérée. Elle avait l'air pâle, fragile, jouant à la perfection son rôle de malade délicate. Je me suis arrêtée un instant, les observant non pas comme une ex-fiancée éconduite, mais comme un entomologiste étudiant des insectes nuisibles. Leur bonheur factice était une insulte à la vie qu'ils détruisaient.
De retour au bureau, une de mes collègues, Chloé, une pipelette invétérée, s'est approchée de mon bureau, une tasse de thé à la main.
« Tu les as vus ? » demanda-t-elle à voix basse. « Franchement, Amélie, je ne sais pas comment tu fais pour rester si calme. Ce type est un salaud. »
Je me suis contentée de hausser les épaules.
« Et elle... Sophie, » continua Chloé, se penchant davantage. « Il y a des rumeurs bizarres qui courent sur elle. Apparemment, avant de rencontrer Jean-Luc, elle avait une réputation... disons, mouvementée. Et cette maladie mystérieuse qu'elle traîne... Une amie qui travaille à l'hôpital Saint-Louis m'a dit qu'elle y est une patiente régulière, mais personne ne sait exactement ce qu'elle a. C'est étrange, non ? Surtout pour une maladie qui ne semble affecter que les gens très... actifs. »
Chaque mot de Chloé était une confirmation. La vérité commençait à suinter, à se répandre comme une tache d'huile. Le monde n'était pas aussi aveugle que Jean-Luc.
Plus tard dans l'après-midi, alors que je sortais du bâtiment, une main agrippa mon bras. C'était Jean-Luc. Seul, cette fois. Son visage était dur, ses yeux lançaient des éclairs.
« Pourquoi tu nous regardes comme ça ? » siffla-t-il, sa poigne se resserrant. « Tu es jalouse ? Tu ne supportes pas de me voir heureux avec quelqu'un d'autre ? »
Sa possessivité, même après m'avoir jetée, était suffocante. Il voulait que je souffre, que je le désire encore.
Je n'ai pas lutté. J'ai simplement tourné la tête et haussé la voix, juste assez pour que les quelques passants et collègues qui sortaient en même temps que nous puissent entendre. Ma voix était claire, posée, mais teintée d'une juste indignation.
« Jean-Luc, nous ne sommes plus fiancés. S'il te plaît, lâche mon bras. Tu me fais mal. »
Plusieurs têtes se tournèrent vers nous. Une femme plus âgée fronça les sourcils, l'air désapprobateur. Gêné, Jean-Luc relâcha immédiatement sa prise, comme si mon bras l'avait brûlé. Il me foudroya du regard, humilié d'être passé pour l'agresseur.
« Je... » balbutia-t-il, avant de se raviser et de s'éloigner d'un pas rapide, le visage rouge de colère.
Je l'ai regardé partir, impassible. C'était si facile de le manipuler. Sa propre arrogance était son pire ennemi.
Le soir, il m'a rappelée. Sa voix était redevenue mielleuse, faussement conciliante. Il était le porte-parole de Sophie.
« Amélie, écoute... Sophie a été très peinée d'apprendre que tu hésitais à venir au mariage. Elle tient vraiment à toi, tu sais. Elle m'a demandé de te le demander à nouveau. S'il te plaît, viens. Pour elle. Pour l'amitié que vous aviez. »
L'amitié que vous aviez. Les mots étaient choisis pour blesser. Ils ne voulaient pas ma présence par amitié. Ils la voulaient comme un trophée. Ils voulaient que le monde voie Amélie Dubois, la fille trahie, sourire et applaudir à leur bonheur.
« Très bien, Jean-Luc, » dis-je après une longue pause, savourant le pouvoir que me donnait mon acceptation. « Dites à Sophie que j'accepte. Je serai là. Je serai même sa demoiselle d'honneur. »
Je pouvais presque entendre son soupir de soulagement et son sourire suffisant à travers le téléphone. Ils pensaient avoir gagné.
Le piège était maintenant parfaitement en place. Ils m'avaient eux-mêmes invitée sur la scène de leur exécution.