Je me tenais devant la porte de l'appartement que Jean-Luc et moi devions bientôt partager, la clé froide dans ma paume. Des sons étouffés me parvenaient de l'intérieur, des rires, des murmures, des soupirs qui n'étaient pas les miens.
Dans ma vie précédente, j'aurais défoncé cette porte. J'aurais brandi ce rapport comme une arme, hurlant ma trahison à la face du monde. J'aurais exposé la maladie de Sophie, la forçant à admettre sa tromperie.
Et je l'avais fait.
Le souvenir était une cicatrice brûlante dans mon esprit. Sophie, humiliée et paniquée, s'était enfuie en courant de l'appartement. Elle avait traversé la rue sans regarder, et une voiture l'avait percutée de plein fouet. Elle était morte sur le coup.
Jean-Luc ne me l'avait jamais pardonné. À ses yeux, j'étais une meurtrière. Son amour pour Sophie, un amour qu'il m'avait caché, s'était transformé en une haine dévorante pour moi. Il avait continué avec notre mariage, un piège cruel qu'il avait méticuleusement préparé. Le jour de nos noces, dans la chambre d'hôtel, il m'avait livrée à une bande d'hommes. Il était resté là, filmant tout avec son téléphone, son visage déformé par un sourire de vengeance. La torture avait duré des jours, jusqu'à ce que mon corps et mon esprit cèdent.
Mais le destin, ou peut-être une force plus sombre, m'avait donné une seconde chance. Je m'étais réveillée quelques mois plus tôt, le jour même où je devais recevoir les résultats de l'enquête que j'avais commandée sur Jean-Luc, soupçonnant déjà son infidélité.
Cette fois, je ne défoncerai pas la porte. Je ne crierai pas. Je ne sauverai personne de son propre poison.
Ma main, qui avait cessé de trembler, tourna doucement la clé dans la serrure. La porte s'entrouvrit sans un bruit. Le salon était baigné dans la lumière douce de l'après-midi. Sur le canapé, Jean-Luc et Sophie étaient enlacés, leurs vêtements en désordre.
« Tu es sûr que ça va ? » demanda Jean-Luc, sa voix pleine d'une tendresse que je ne lui avais jamais connue. « Tu as l'air si fatiguée ces derniers temps. »
Sophie se blottit contre lui, son visage faussement innocent.
« Ce n'est rien, mon amour. Juste un petit virus, le médecin a dit que ça passerait avec du repos. »
Un petit virus. Le mensonge était si facile pour elle. Jean-Luc, aveuglé par son adoration, la croyait sans l'ombre d'un doute. Il caressait ses cheveux, ignorant totalement qu'elle le condamnait à la même sentence qu'elle.
Mon regard dériva vers la table basse. Au milieu des verres de vin vides, il y avait une esquisse. Le croquis de ma robe de mariée. La voir là, au milieu de leur trahison, provoqua une nausée violente. Mon estomac se serra, une vague de froid me parcourut l'échine. C'était le même croquis que j'avais regardé avec espoir dans ma vie précédente, avant qu'il ne devienne le symbole de mon agonie.
Je reculai doucement, refermant la porte avec une précision de chirurgien. Le clic fut à peine audible. Je me retournai et partis sans un regard en arrière, laissant ces deux amants à leur destin empoisonné.
Mon seul refuge était la maison de mon père. En arrivant, je n'ai pas eu besoin de dire un mot. Mon visage devait tout raconter. Il m'a simplement prise dans ses bras, et là, dans la sécurité de son étreinte, j'ai finalement laissé les larmes couler. Ce n'étaient pas des larmes de tristesse pour un amour perdu, mais des larmes de rage et de soulagement. Le barrage que j'avais construit autour de mon cœur s'est fissuré, libérant le torrent de douleur de ma vie passée.
« Papa, » ai-je sangloté, mon corps secoué de spasmes. « C'est fini. Je ne l'épouserai pas. »
Je m'attendais à des questions, à de la surprise, peut-être même à de la déception. Mon père, Monsieur Dubois, était un homme d'affaires pragmatique, et ce mariage était aussi une alliance stratégique entre nos deux familles.
Mais il resserra simplement son étreinte. Sa voix était calme, mais chargée d'une émotion que je ne lui connaissais pas.
« Je sais, Amélie. »
Je me suis écartée pour le regarder, confuse.
« Comment... ? »
Ses yeux, habituellement si vifs et calculateurs, étaient remplis d'une profonde tristesse et d'une détermination de fer.
« Moi aussi, Amélie. Je me souviens de tout. »
Le sol sembla se dérober sous mes pieds. Mon père. Lui aussi ? Il avait revécu l'horreur, l'impuissance de perdre sa fille de la façon la plus atroce qui soit. Ce n'était plus seulement ma vengeance. C'était la nôtre. Une nouvelle force, froide et puissante, s'installa dans ma poitrine. Jean-Luc et Sophie ne savaient pas à qui ils avaient affaire. Ils pensaient jouer avec une jeune femme naïve. Ils allaient affronter la fureur d'un père qui avait tout vu, et la vengeance d'une fille qui n'avait plus rien à perdre.