Sa voix était rauque, un murmure brisé. Il m'a raconté la faillite de son entreprise, une histoire confuse de mauvais investissements et de partenaires traîtres. Je l'ai écouté, mon cœur se serrant pour lui. Antoine, l'homme si confiant et brillant, était détruit. Sans hésiter, je l'ai serré dans mes bras.
« On va trouver une solution, Antoine. Je suis là. On va s'en sortir ensemble. »
Il m'a regardée avec des yeux pleins de larmes, pleins d'une gratitude qui me semblait si réelle. À ce moment-là, j'étais une danseuse étoile prometteuse. Ma vie, c'était les répétitions, la discipline, la scène de l'Opéra de Paris. Mais tout ça a perdu de son importance face à sa détresse. L'amour que je lui portais était plus fort que tout. J'ai vidé mon compte en banque, toutes les économies que j'avais mises de côté depuis des années de travail acharné. J'ai vendu mes quelques bijoux de valeur. J'ai abandonné les auditions, les contrats, j'ai dit adieu à la scène. Pour lui.
Avec l'argent, nous avons ouvert une petite boutique de fleurs dans un quartier modeste de la banlieue. C'était son idée. Un nouveau départ, loin du monde de la finance qui l'avait brisé.
La boutique était petite, l'odeur de la terre humide et des fleurs coupées remplaçait celle de la laque et de la poussière de scène. Mes mains, autrefois fines et entraînées pour la grâce des arabesques, sont devenues calleuses. Chaque matin, je me levais à quatre heures pour aller au marché de Rungis, choisissant les plus belles roses, les pivoines les plus fraîches. Je passais mes journées à composer des bouquets, à servir les clients du quartier, à nettoyer le sol. Mes chaussons de pointe prenaient la poussière dans un carton, un souvenir d'une autre vie. Antoine, lui, s'occupait de la "gestion", disait-il. Il restait souvent à l'arrière, passant des appels, l'air soucieux. Je travaillais pour deux, pour trois, pour nous.
Chaque euro de bénéfice était sacré. Je le mettais précieusement dans une vieille boîte en fer blanc que je cachais sous le comptoir. C'était notre projet secret. Antoine m'avait parlé avec une tristesse immense de l'appartement de son enfance, celui que ses parents avaient dû vendre après une mauvaise passe. Il me disait à quel point il rêvait de le racheter un jour. Alors, je travaillais sans relâche pour réaliser son rêve. Chaque pièce de monnaie dans cette boîte était une brique pour reconstruire son passé, notre avenir. Je m'imaginais déjà sa surprise, sa joie. Cet objectif donnait un sens à mes doigts abîmés par les épines et à mon dos douloureux.
Ce soir-là, la journée avait été longue. J'étais seule dans la boutique, en train de faire les comptes. La boîte en fer était presque pleine. Encore quelques mois, et nous aurions la somme nécessaire pour l'acompte. J'ai souri, fatiguée mais heureuse. C'est à ce moment que j'ai reçu une notification sur mon téléphone. "Antoine Leclerc est en direct." C'était étrange. Il m'avait dit qu'il passait la soirée chez un ami pour parler d'une nouvelle opportunité d'affaires, un petit boulot pour nous aider.
Curieuse, j'ai cliqué. L'image est apparue, un peu floue au début. Ce n'était pas le petit appartement modeste de son ami. C'était un bar luxueux, avec des lumières tamisées et des bouteilles chères alignées sur des étagères en verre. La caméra du téléphone devait être posée sur la table, filmant le plafond par accident. Mais le son, lui, était parfaitement clair. J'ai entendu des rires, de la musique forte.
Et puis, une voix. Une voix que je connaissais par cœur, mais avec une intonation que je ne lui connaissais pas. Une intonation arrogante, moqueuse. C'était la voix d'Antoine.
« Tu ne peux pas imaginer à quel point c'est drôle. Elle y croit vraiment. »
Un autre rire a éclaté, gras et méprisant. Cédric, son meilleur ami.
« Sérieux ? Elle pense toujours que t'es fauché ? »
Mon cœur a cessé de battre. Je ne comprenais pas. C'était une erreur, une mauvaise blague. Je tenais le téléphone, mes doigts glacés.
« Mieux que ça, » a continué Antoine, sa voix pleine d'un amusement cruel. « Elle se lève à l'aube pour vendre des pissenlits. Elle met chaque centime de côté pour racheter mon vieil appart. Ma petite fleuriste de quartier... C'est pathétique. »
Le monde s'est écroulé autour de moi. "Fleuriste de quartier." Les mots flottaient dans l'air silencieux de la boutique, se mélangeant à l'odeur sucrée des fleurs qui m'a soudainement donné la nausée. Mon souffle s'est bloqué dans ma poitrine. La boîte en fer blanc sur le comptoir semblait me brûler les yeux. Chaque pièce à l'intérieur était une preuve de ma stupidité.