Bien sûr. La vraie raison était de solidifier le mensonge le plus vite possible, avant que quiconque ne commence à poser des questions embarrassantes.
Les funérailles ont eu lieu deux jours plus tard. C'était une cérémonie précipitée et lugubre. Un cercueil vide a été exposé dans l'église du village.
Je jouais mon rôle à la perfection. Vêtue de noir de la tête aux pieds, un voile cachant mon visage, je me tenais près du cercueil, le corps secoué de sanglots. De temps en temps, je portais un mouchoir à mes yeux, feignant d'essuyer des larmes qui ne coulaient pas.
Pendant ce temps, j'observais.
Je voyais Jean-Luc, toujours dans son rôle du frère éploré qui avait repris son propre nom, "soutenant" Isabelle. De temps en temps, leurs mains se frôlaient discrètement. Je voyais le sourire satisfait sur le visage de ma belle-mère chaque fois qu'elle pensait que personne ne la regardait.
Ils étaient si sûrs d'eux, si convaincus de leur victoire.
Au milieu de la cérémonie, j'ai senti qu'il était temps de monter le spectacle d'un cran. J'ai poussé un cri étranglé et je me suis "évanouie" de chagrin. On m'a transportée hors de l'église, ce qui m'a permis d'éviter le reste de cette farce et de laisser les autres gérer la fin.
Le vrai combat a commencé le soir même, après les funérailles.
Nous étions tous réunis dans le grand salon. L'ambiance n'était plus au deuil, mais aux affaires.
Ma belle-mère a été la première à parler, son ton n'ayant plus rien de compatissant.
"Jeanne. Maintenant que Jean-Luc n'est plus là, il est évident que tu ne peux pas gérer ce domaine seule. Par tradition, la gestion de la fortune familiale me revient."
Isabelle a ajouté, avec une fausse douceur :
"Bien sûr, ma chère Jeanne. Nous serons là pour t'aider. Tu n'auras à te soucier de rien."
Se soucier de rien, en effet. Dans ma vie précédente, elles m'avaient dépouillée de tout en moins d'une semaine.
J'ai relevé la tête, les yeux rouges et gonflés (j'avais discrètement frotté un oignon avant d'entrer).
"Vous avez raison, belle-maman. Je... je ne suis rien sans mon cher mari."
J'ai sorti une pile de papiers que j'avais préparée.
"En fait, je suis si heureuse que vous soyez là pour prendre les choses en main. Jean-Luc... il ne m'avait pas tout dit. Il avait des dettes. D'énormes dettes."
J'ai étalé les faux registres sur la table. Des chiffres inventés, des créanciers imaginaires, des prêts exorbitants.
"Le domaine est presque en faillite. Les fournisseurs n'ont pas été payés depuis des mois. Il y a des hypothèques sur presque toutes nos terres."
Le visage de ma belle-mère a changé de couleur. La cupidité a laissé place à l'horreur.
"Quoi ? C'est impossible ! Mon fils était un homme riche !"
"C'est ce que je croyais aussi," ai-je sangloté. "Mais ces papiers... ils disent le contraire. Je ne sais pas comment nous allons faire pour payer tout ça."
Jean-Luc, qui se tenait en retrait, a froncé les sourcils. Il savait que c'était faux. Il savait parfaitement que sa fortune était intacte. Mais comment pouvait-il le dire sans révéler sa supercherie ? Il était censé être le frère, ignorant des finances de Jean-Luc.
Il était coincé.
Ma belle-mère a arraché un papier de la table.
"C'est un mensonge ! Tu as falsifié tout ça !"
J'ai éclaté en sanglots encore plus fort, cette fois en me tournant vers les quelques membres de la famille élargie qui étaient encore présents.
"Comment pouvez-vous dire une chose pareille ? Mon mari vient de mourir, et vous m'accusez de vol ? Je suis seule avec ma fille, criblée de dettes, et c'est tout le soutien que je reçois ?"
Mon jeu d'actrice était impeccable. Les autres membres de la famille ont commencé à regarder ma belle-mère et Isabelle avec réprobation. Un vieil oncle s'est approché de moi.
"Calmez-vous, ma pauvre enfant. Personne ne vous accuse. C'est le choc du deuil qui les fait parler ainsi."
Ma belle-mère a compris qu'elle avait perdu la bataille pour le moment. Elle a ravalé sa colère.
"Bien sûr... le choc... Nous verrons cela plus tard."
Plus tard dans la soirée, alors que je mettais ma fille Marie au lit, elle m'a regardé avec ses grands yeux innocents.
"Maman ?"
"Oui, mon trésor ?"
"Pourquoi tout le monde dit que papa est mort ?"
J'ai senti mon cœur se serrer.
"Parce qu'il est parti pour un très long voyage, mon ange."
"Mais... l'homme qui était là tout à l'heure, celui qui ressemble tant à papa... Tante Isabelle l'a appelé Jean-Luc. C'est le nom de papa."
Je l'ai serrée fort contre moi, cachant mon visage dans ses cheveux.
"Oui, mon amour. C'est une histoire compliquée. Mais ne t'inquiète pas. Maman est là, et je te protégerai. Toujours."
Son innocence était l'arme la plus puissante contre leur mensonge. Et leur cruauté envers elle serait leur perte.