Je suis sortie de l'hôpital seule.
Le médecin m'avait dit de me reposer.
"Vous avez perdu beaucoup de sang, madame Martin. Il faut être prudente."
J'avais fait une fausse couche.
J'étais enceinte de trois mois.
Je portais notre enfant, un petit être que j'aimais déjà de toutes mes forces.
Maintenant, il n'y avait plus rien.
Juste un vide immense dans mon ventre et dans mon cœur.
J'ai marché lentement jusqu'à l'arrêt de bus, chaque pas ravivant une douleur sourde dans mon bas-ventre.
Le monde autour de moi semblait normal.
Les gens riaient, parlaient, couraient pour attraper leur bus.
Personne ne voyait que je m'étais brisée en mille morceaux.
Paul n'était pas venu à l'hôpital.
Je l'avais appelé, depuis le lit froid de la chambre.
Ma voix était faible.
"Paul, je... j'ai perdu le bébé."
Il y a eu un silence à l'autre bout du fil.
Pas un silence de choc ou de chagrin.
Un silence agacé.
"Je ne peux pas venir maintenant, Jeanne."
"Où es-tu ?"
"Sophie a une crise. Elle n'arrive plus à écrire. Elle a besoin de moi."
Sophie. Toujours Sophie.
Sa muse, son inspiration, la femme pour qui son monde tournait.
Moi, j'étais juste sa femme.
Celle qui payait les factures avec son travail d'illustratrice, qui nettoyait son désordre, qui croyait en son talent d'écrivain maudit.
Celle qui venait de perdre leur enfant, seule.
"Je vois," avais-je murmuré avant de raccrocher.
Je n'avais pas pleuré. Je n'en avais plus la force.
Quand je suis rentrée à l'appartement, le chaos habituel m'a accueillie.
Des piles de livres sur le sol, des tasses de café vides sur la table, des feuilles de papier froissées partout.
Son "processus créatif".
Il était assis à son bureau, le dos tourné, fumant une cigarette.
Il ne s'est même pas retourné quand il m'a entendue entrer.
"Alors ?" a-t-il demandé, sa voix dure. "Tu as vu le médecin ?"
"Oui."
"Et ?"
"C'est fini, Paul. Il n'y a plus de bébé."
Il a écrasé sa cigarette dans un cendrier déjà plein.
Il s'est enfin levé et s'est tourné vers moi.
Il n'y avait aucune tristesse dans ses yeux.
Juste de l'irritation.
"Tu aurais pu faire plus attention."
Le souffle m'a manqué.
"Quoi ?"
"Tu travailles trop. Tu ne te reposes pas. C'est de ta faute."
J'ai regardé cet homme que j'avais tant aimé.
Je ne le reconnaissais plus.
Ou peut-être que je ne l'avais jamais vraiment connu.
Peut-être que j'avais seulement vu ce que je voulais voir.
Il a dû voir quelque chose changer dans mon regard, car son expression s'est adoucie.
Un masque de compassion a remplacé la dureté.
"Écoute, je suis désolé. Je suis juste... sous pression. Ce roman me tue."
Il s'est approché, a essayé de me prendre dans ses bras.
"Ça va aller. On en fera un autre."
Comme si on pouvait remplacer un enfant comme on remplace un objet cassé.
Je me suis raidie, je l'ai repoussé doucement.
"Je suis fatiguée. Je vais m'allonger."
Je suis allée dans notre chambre.
Je ne l'ai pas regardé.
Je me suis assise sur le lit et j'ai fixé le mur.
Quelque chose en moi s'était brisé.
Définitivement.
Pendant qu'il retournait à son bureau, à son roman, à sa muse, moi, je suis restée assise là.
Immobile.
Et j'ai commencé à planifier ma fuite.
En silence.