Quatre ans après la mort de Paul, je suis allée au cimetière.
C'était une journée grise, le ciel bas et lourd pesait sur les cyprès.
Je tenais un petit bouquet de fleurs sauvages, les mêmes qu'il aimait.
Je marchais dans les allées silencieuses, le gravier crissant sous mes pas.
J'ai tourné au coin de l'allée des Tilleuls, là où il reposait.
Mais la tombe n'était plus là.
À sa place, il y avait un carré d'herbe fraîche, comme si personne n'avait jamais été enterré ici.
J'ai cligné des yeux, confuse.
J'ai vérifié le numéro de la concession sur le petit plan que je gardais dans mon portefeuille.
C'était bien là.
J'ai fait le tour, pensant m'être trompée, mais non.
La place était vide.
Un sentiment étrange m'a envahie, un mélange de panique et d'incrédulité.
J'ai vu le gardien du cimetière un peu plus loin, en train de tailler une haie.
Je me suis approchée.
"Excusez-moi, monsieur."
Il s'est retourné, ses cisailles à la main.
"Oui, madame ?"
"La tombe de Paul Martin... elle était là."
Je montrais du doigt l'emplacement vide.
"Elle n'y est plus."
Il a froncé les sourcils, l'air perplexe.
"Martin, vous dites ? Attendez."
Il a sorti un vieux carnet de sa poche et a feuilleté les pages.
"Ah, oui. Paul Martin. Il a été déplacé."
"Déplacé ? Comment ça, déplacé ? On ne déplace pas les morts."
Ma voix tremblait un peu.
"Sa famille en a fait la demande, il y a environ six mois. Ils avaient une nouvelle concession familiale."
"Sa famille ?"
J'étais sa seule famille. Nous n'avions pas d'enfants. Ses parents étaient morts bien avant lui.
"Sa mère, je crois. Ou sa sœur. Je ne sais plus bien."
Il a rangé son carnet, prêt à retourner à son travail.
"Et où... où est-il maintenant ?" ai-je demandé, la gorge serrée.
Il m'a indiqué une autre partie du cimetière, plus récente, plus "prestigieuse".
"Allée des Artistes. Au fond, près du grand chêne."
J'ai marché, mes jambes comme du coton.
L'Allée des Artistes. Bien sûr. Paul aurait adoré.
J'ai trouvé la nouvelle tombe.
Elle était plus grande, en marbre noir poli.
Deux noms y étaient gravés en lettres dorées.
Paul Martin.
Et juste en dessous, Sophie Laurent.
Sophie. Sa "muse". Morte deux ans après lui dans un accident de voiture.
Ils étaient là, ensemble, pour l'éternité.
Le bouquet de fleurs sauvages est tombé de ma main.
J'ai senti le sol se dérober sous mes pieds.
Tout est revenu d'un coup.
La trahison. L'humiliation. La douleur.
Le jour où tout a basculé.
Le jour où il m'a abandonnée.
Ce n'était pas la mort qui nous avait séparés. La séparation avait eu lieu bien avant.
La mort n'avait fait que rendre sa trahison éternelle.
Et là, devant cette pierre tombale, j'ai compris.
Il fallait que je revive cette journée, une bonne fois pour toutes.
Pour comprendre comment j'avais pu en arriver là.
Pour me libérer enfin.
Mon esprit a fait un bond en arrière.
Huit ans plus tôt.
Le jour où j'ai décidé de partir.