Chapitre 4

La mémoire de ce jour, il y a dix ans, est revenue avec une clarté douloureuse. Ma sœur aînée, Claire, la belle, la charismatique, la fiancée de Louis Moreau, s'était enfuie avec un musicien sans le sou. C'était un scandale qui menaçait de ruiner la réputation de ma famille et de compromettre une alliance commerciale cruciale avec les Moreau.

Je me souviens de ma mère, le visage ravagé par la panique, me suppliant dans le salon familial.

« Adèle, tu dois le faire. Tu dois la remplacer. Tu ressembles tellement à Claire. Personne ne verra la différence de loin. C'est pour l'honneur de la famille. »

Mon frère, opportuniste et lâche, avait ajouté :

« Pense à l'avantage que cela représente. Tu épouses Louis Moreau. Tu n'auras plus jamais à te soucier de l'argent. »

Ils ne m'avaient pas demandé mon avis. Ils m'avaient vendue. J'avais dix-neuf ans, et mon avenir venait d'être effacé. Louis, humilié mais pragmatique, avait accepté le marché. Il avait besoin d'une épouse pour les apparences, et j'étais une solution convenable. Le mariage avait eu lieu en petit comité. Il n'y avait pas eu d'amour, pas de joie, juste la signature d'un contrat.

Dix ans. Une décennie de ma vie, sacrifiée sur l'autel de la réputation et de l'argent. Dix ans à sourire quand j'avais envie de pleurer, à me taire quand j'avais envie de crier. Dix ans à être l'ombre de ma sœur.

Louis est revenu dans la chambre, tenant un verre d'eau. Il a essayé de le poser sur la table de chevet, mais sa main a frôlé la mienne. J'ai eu un mouvement de recul, comme si j'avais été brûlée.

« Ne me touchez pas. »

Ma voix était un murmure rauque, mais chargé d'une force nouvelle.

Il s'est figé, le verre à la main. Son visage s'est durci.

« Comment oses-tu ? Après ce que tu as fait ? »

« Ce que j'ai fait ? » ai-je répété, le regard fixé sur lui. « C'est votre fils qui m'a poussée. »

Il a éclaté d'un rire bref et sans joie.

« Marc ? Ne sois pas ridicule. Il est dévasté. Il pleure la perte de son futur frère ou de sa future sœur. Tu cherches juste quelqu'un à blâmer pour ta propre maladresse. »

Puis, son ton est devenu venimeux.

« Tu devrais être reconnaissante, Adèle. Je t'ai sortie de ta petite vie médiocre. Je t'ai donné un nom, une maison, une vie de luxe. Tout ce que tu avais à faire, c'était de te tenir droite, de sourire et de me donner un héritier. Tu as même échoué à ça. »