Marc a descendu les escaliers, s'arrêtant à quelques pas de moi. Il me regardait comme si j'étais un insecte qu'il venait d'écraser.
« Tu entends ce que je dis ? Tu n'es personne. Tu vis dans notre maison, tu portes les vêtements que mon père dessine, tu manges la nourriture que nous payons. Tu devrais être reconnaissante. »
Sa cruauté était celle d'un enfant qui n'a jamais connu de conséquences à ses actes. Il répétait les phrases qu'il avait entendues toute sa vie, des phrases qui définissaient ma place dans cet univers.
Je l'ai regardé, mon visage vide de toute expression. La douleur physique était si intense qu'elle semblait avoir anesthésié mes émotions. Je sentais le sang chaud sur ma peau, mais c'était comme si cela arrivait à quelqu'un d'autre.
« Oui, tu as raison. »
Ma réponse l'a surpris. Il s'attendait à des larmes, des cris, des supplications. Pas à cette acceptation calme et résignée.
« Je ne suis que la remplaçante. Et la remplaçante a fait son temps. »
Il a froncé les sourcils, décontenancé par mon ton. Il ne comprenait pas. Pour lui, le pouvoir et l'argent étaient tout ce qui comptait. L'idée que quelqu'un puisse volontairement y renoncer était inconcevable.
« Tu es folle, » a-t-il finalement lâché, comme si c'était la seule explication possible.
Je n'ai pas répondu. Je me suis détournée de lui, de la tache de sang sur le sol, et j'ai commencé à marcher lentement vers l'aile de la maison où se trouvait ma chambre. Chaque pas était une torture. Le long couloir, avec ses portraits de famille des Moreau accrochés aux murs, me semblait interminable. C'était le chemin que j'avais emprunté chaque jour pendant dix ans, un chemin qui ne menait nulle part.
Je n'étais pas encore arrivée à mi-chemin lorsque mes jambes ont cédé. Mes forces m'ont abandonnée d'un seul coup. Le monde a tourné autour de moi, les portraits se sont mis à danser sur les murs. Je me suis effondrée sur le tapis épais.
La dernière chose que j'ai entendue avant de perdre connaissance fut le cri perçant d'une des femmes de chambre.
« Madame ! Au secours ! Madame se vide de son sang ! »