Mon premier réflexe a été de porter une main tremblante sur mon ventre, là où, quelques instants plus tôt, je sentais la promesse d'une nouvelle vie. La chaleur protectrice que j'avais cultivée pendant des mois, ce petit cocon secret de bonheur, avait disparu. À la place, il n'y avait qu'un vide glacial et une douleur lancinante.
« C'est de ta faute ! »
La voix stridente de Marc, mon beau-fils de seize ans, a percé le brouillard de ma souffrance. Je n'avais même pas besoin de lever la tête pour savoir qu'il se tenait en haut des escaliers, me regardant de toute sa hauteur. C'est lui qui m'avait bousculée. Volontairement.
« Tu as essayé de tuer mon petit frère ou ma petite sœur ? C'est ça ? Pour que toute l'attention de Papa reste sur toi ? »
Chaque mot était une accusation, une pierre jetée sur mon corps déjà brisé. Je l'ai regardé, le visage de cet adolescent que j'avais élevé pendant dix ans. Un visage tordu par une jalousie et une haine que je n'avais jamais su apaiser. Il n'était qu'un enfant gâté, manipulé par une famille qui ne m'avait jamais acceptée.
La chaleur que je sentais pour mon enfant à naître s'est éteinte d'un coup. Mon cœur est devenu froid, puis engourdi. C'était un mécanisme de défense, la seule façon de survivre à cette trahison ultime. J'avais tout donné pour cet enfant, Marc. Je l'avais nourri, soigné, aimé comme s'il était le mien, et voilà ma récompense.
Je me suis redressée avec une lenteur infinie, ignorant la douleur qui me déchirait. Mes yeux ont croisé les siens, et pour la première fois en dix ans, je n'ai ressenti ni pitié, ni affection, ni même de la colère. Juste un vide immense.
« Je veux divorcer, Marc. »
Ma voix était basse, presque un murmure, mais elle a tranché le silence du hall.
Un rire méprisant lui a échappé.
« Divorcer ? Toi ? Tu te prends pour qui ? Mon père va te jeter dehors sans un sou. Tu n'es rien sans le nom des Moreau. Tu n'es que la remplaçante. »
La remplaçante. Ce mot, il l'avait appris de son père, de ses grands-parents, de toutes les maîtresses de Louis qui défilaient dans cette maison. J'étais le substitut de ma propre sœur, celle qui s'était enfuie la veille de son mariage avec Louis Moreau, le grand couturier. J'avais été offerte en sacrifice pour sauver l'honneur de ma famille.
Je me suis mise à genoux, puis, en m'appuyant sur la rampe glacée, je me suis hissée sur mes pieds. Une nouvelle vague de douleur m'a submergée et j'ai grimaqué. Le sang coulait maintenant le long de ma jambe, tachant le marbre blanc immaculé. Les domestiques, qui avaient assisté à la scène depuis le début, se sont figés, leurs visages pâles de peur, n'osant ni bouger ni parler. Ils savaient qui avait le pouvoir dans cette maison. Et ce n'était pas moi.