Mon cœur a cessé de battre. J'ai ouvert sa galerie de photos. Et il était là. Mon fils. Des dizaines, des centaines de photos. Un bébé potelé avec mes yeux et le sourire d'Antoine, riant dans les bras de Coralie. Des vidéos de ses premiers pas, de son premier mot. "Papa", disait-il en tendant les bras vers l'homme qui filmait. Mon mari. Le père de mon enfant volé. La douleur était physique. C'était une torsion dans mes entrailles, un poids écrasant sur ma poitrine. J'ai dû mordre mon poing pour ne pas crier.
J'ai continué à fouiller. J'ai trouvé le profil de Coralie sur les réseaux sociaux. C'était une vitrine de bonheur factice. Elle se présentait comme une "maman blogueuse", documentant sa "maternité miracle". Des posts sponsorisés pour des poussettes de luxe, des vêtements de bébé de créateur. Chaque photo, chaque légende était un mensonge, construit sur ma souffrance. "Tellement reconnaissante pour ma petite famille", écrivait-elle sous une photo d'elle, d'Antoine et de mon fils. Ma famille.
Puis, j'ai ouvert leurs messages. La nausée m'a prise. C'était un flot ininterrompu d'amour et de complicité.
« Mon amour, j'ai hâte que notre petite fille soit là pour compléter notre famille. Léo demande toujours après sa petite sœur. »
« Patience, ma chérie. Jeanne est bien surveillée. La machine fonctionne parfaitement. Bientôt, tout ça sera derrière nous. »
La machine. C'est ce que j'étais pour lui. Une machine. J'ai lu des heures durant, chaque mot gravant un peu plus profondément la trahison dans ma chair. Je n'étais pas seulement une mère porteuse. J'étais l'objet d'un mépris total, d'une déshumanisation complète.
Le lendemain, Antoine m'a annoncé que je devais être hospitalisée.
« Juste par précaution, mon amour. Pour les dernières semaines. Tu seras sous surveillance constante. C'est mieux pour le bébé. »
C'était une prison de luxe. Une chambre privée avec vue sur la Seine, mais la porte était toujours gardée. Les infirmières, choisies par Antoine, étaient polies mais fermes. Elles contrôlaient mes appels, mes visites. J'étais coupée du monde. Chaque jour, on me faisait des injections. Mon corps était lourd, mon esprit engourdi. Je flottais.
Une semaine plus tard, Antoine est entré, le visage grave.
« Les médecins sont inquiets. Le rythme cardiaque du bébé est irrégulier. Ils pensent qu'il faut le faire naître plus tôt. Demain. »
Je savais qu'il mentait. J'ai vu son regard fuyant. Ce n'était pas pour le bébé. C'était pour lui. Pour Coralie. Peut-être qu'elle était impatiente. Peut-être que la date correspondait à un anniversaire, à un événement qu'ils voulaient célébrer. Ma date d'accouchement était dictée par le calendrier social de sa maîtresse. J'étais un pion dans leur jeu macabre.
Cette nuit-là, incapable de dormir malgré les sédatifs, j'ai entendu des éclats de voix dans le couloir. La porte de ma chambre n'était pas complètement fermée. C'était Antoine et le Dr. Lefevre.
« C'est de la folie, Antoine ! » disait le médecin, la voix basse mais pleine de fureur.
« Il n'y a aucune raison médicale de provoquer l'accouchement maintenant ! C'est dangereux pour Jeanne ! Son utérus n'est pas prêt ! »
« Je paie pour que tu fasses ce que je dis, pas pour que tu discutes ! » a sifflé Antoine.
« Coralie a organisé une fête pour l'arrivée du bébé ce week-end. Tout est prêt. L'accouchement aura lieu demain, que ça te plaise ou non. Fais ton travail. »
Le silence qui a suivi était lourd de défaite. J'ai entendu les pas du Dr. Lefevre s'éloigner. J'étais condamnée. Le lendemain matin, quand l'infirmière est venue me préparer pour le bloc, j'étais étrangement calme. La peur avait laissé place à une sorte de détachement glacial. Alors qu'on me poussait sur le brancard dans le couloir, j'ai croisé le Dr. Lefevre. Il ne pouvait pas me regarder dans les yeux.
« Je suis désolé », a-t-il murmuré, si bas que j'ai failli ne pas l'entendre.
Je n'ai pas répondu. Il n'y avait plus rien à dire. J'allais entrer dans cette salle, on allait m'ouvrir le ventre, on allait me prendre mon deuxième enfant, et peut-être une partie de moi-même pour toujours. Et je devais laisser faire. Mon seul espoir était ce petit téléphone que j'avais réussi à cacher sous mon matelas, celui où j'avais transféré les preuves. Mon seul espoir était de survivre à ce qui allait suivre.