« L'utérus de Jeanne est encore très fragilisé par la première césarienne. Une deuxième grossesse si rapprochée, c'est une prise de risque énorme. On parle d'un risque élevé de rupture utérine. C'est potentiellement mortel pour elle. »
J'ai senti un frisson me parcourir, mais j'ai gardé un visage neutre, fixant un point sur le mur. J'écoutais la discussion sur ma propre vie comme si elle concernait une étrangère.
Antoine a balayé ses inquiétudes d'un geste de la main.
« Lefevre, tu es le meilleur. Tu sais gérer ce genre de situation. Fais ce qu'il faut. Cette grossesse doit arriver à terme. Coralie l'attend. »
La façon dont il a prononcé le nom de Coralie, avec une telle tendresse, tout en parlant de ma mort potentielle avec un tel détachement, a été comme un coup de poing dans l'estomac.
« Antoine, ce n'est pas un jeu ! » a rétorqué le Dr. Lefevre, la voix tendue.
« On ne parle pas d'une machine. C'est ta femme. Si son utérus se déchire, on devra pratiquer une hystérectomie d'urgence pour lui sauver la vie. Elle ne pourra plus jamais avoir d'enfants. Tu comprends ça ? »
J'ai retenu mon souffle. Perdre mon utérus. Perdre la capacité de porter la vie. C'était une mutilation, une destruction.
Le silence d'Antoine a été plus éloquent que n'importe quelle parole. Puis, il a répondu d'une voix glaciale, une voix que je ne lui avais jamais entendue.
« Fais ce que tu as à faire. L'important, c'est l'enfant. S'il faut sacrifier son utérus pour sauver le bébé et la faire taire, alors soit. Elle m'a déjà donné un héritier, celui-ci est pour Coralie. Après ça, je n'aurai plus besoin d'elle. »
Plus besoin de moi. Ces mots ont tourbillonné dans mon esprit. Ce n'était pas seulement une question d'enfants. C'était une question de remplacement. C'est alors que le Dr. Lefevre, poussé à bout, a lâché la dernière pièce du puzzle.
« Mais pourquoi elle, Antoine ? Pourquoi avoir épousé Jeanne pour lui faire subir ça ? »
« Regarde-la », a répondu Antoine, avec un calme terrifiant.
« Elle ressemble étrangement à Coralie. La même silhouette, la même couleur de cheveux. C'était parfait. Personne ne se douterait de rien. C'était une mère porteuse idéale, une façade respectable. Je l'ai choisie pour ça. »
J'ai fermé les yeux. Chaque souvenir heureux, chaque mot d'amour, chaque promesse murmurée dans le noir s'est effondré, révélant la structure pourrie de mensonges sur laquelle ma vie était bâtie. Notre rencontre "fortuite" dans une galerie d'art, son coup de foudre "immédiat", notre mariage rapide. Tout était un calcul. J'étais un clone, un réceptacle, un objet choisi sur catalogue pour sa ressemblance avec une autre. La douleur était si intense, si profonde, que j'ai cru que j'allais me dissoudre sur place.
Je devais me contrôler. Je ne pouvais pas les laisser voir. J'ai rouvert les yeux et j'ai forcé un faible sourire en direction d'Antoine, qui s'approchait de moi.
« Tout va bien, chéri ? Le docteur a l'air inquiet. »
Mon propre calme m'a effrayée. Antoine m'a pris la main, son masque d'époux aimant de retour sur son visage.
« Ne t'inquiète pas, mon amour. Le Dr. Lefevre est juste très prudent. Il va prendre soin de toi et de notre bébé. Il va te prescrire les meilleurs compléments, s'assurer que tu te reposes. Tout ira bien. »
Il mentait en me regardant droit dans les yeux, sa main chaude sur la mienne. Et moi, je lui souriais, mon cœur se transformant en un bloc de glace. Le reste de la consultation a été un brouillard. Des mots sur la nutrition, le repos, les prochains rendez-vous. Antoine planifiait la naissance de son enfant, la destruction de mon corps et la fin de notre mariage avec la même efficacité méticuleuse qu'il mettait à gérer ses affaires.
En partant, j'ai croisé le regard du Dr. Lefevre. Il y avait de la pitié dans ses yeux, et peut-être une lueur de honte. Il était son ami, mais il était aussi un médecin. Il était complice, mais il avait une conscience. Ce regard a été la première fissure dans mon mur de solitude. Peut-être, juste peut-être, que je n'étais pas entièrement seule dans cet enfer.