J'ai essayé de tourner la tête, de voir ce petit être que j'avais porté pendant neuf mois. Mais on l'a emporté si vite. Une ombre, un mouvement, et il avait disparu. Le silence qui a suivi était plus assourdissant que les bips des moniteurs. L'anesthésie générale m'a finalement aspirée dans ses ténèbres, un refuge bienvenu contre la question qui commençait à hurler dans ma tête : Pourquoi ne me l'ont-ils pas montré ?
Quand je me suis réveillée, la première chose que j'ai vue, ce fut le visage d'Antoine. Mon mari. Ses yeux étaient rouges, son expression dévastée. Il tenait ma main si fort que ça me faisait mal, mais cette douleur était réelle, un point d'ancrage dans la brume de mon chagrin.
« Jeanne, mon amour... »
Sa voix s'est brisée.
« Le bébé... il n'a pas survécu. Il était trop faible. »
Les mots flottaient dans la pièce stérile de l'hôpital. Ils ne semblaient pas m'appartenir, ils ne semblaient pas parler de ma vie. J'ai regardé Antoine, son chagrin semblait si immense, si sincère. Il a pleuré contre mon épaule, des sanglots qui secouaient tout son corps. Et dans ma propre douleur, je l'ai réconforté. Nous étions un couple en deuil, unis dans la tragédie. J'ai cru à ses larmes. J'ai cru à sa douleur.
Les semaines qui ont suivi ont été un long tunnel sombre. Antoine était l'époux parfait. Il s'occupait de tout. Il parlait aux médecins, organisait les funérailles discrètes d'un petit cercueil blanc que je n'ai jamais eu la force de regarder, et me protégeait des appels pleins de pitié de nos amis et de ma famille. Il me préparait mes plats préférés, même si je n'avais pas faim. Il me lisait des livres, même si je n'écoutais pas. À l'extérieur, tout le monde le voyait comme un mari dévoué, un roc pour sa femme brisée. Et moi aussi. Je m'accrochais à lui, je buvais ses paroles de réconfort comme un élixir.
« On s'en sortira, Jeanne », me disait-il doucement, en caressant mes cheveux.
« On aura un autre enfant. Un enfant qui restera avec nous. On remplira cette maison de rires. »
L'idée, au début, me terrifiait. Mais Antoine était si persuasif, son désir d'un enfant si palpable, si ardent. Il disait que c'était la seule façon de guérir, de surmonter notre perte. Et parce que je l'aimais, parce que je lui faisais une confiance absolue, j'ai fini par me laisser convaincre. Deux mois à peine après la césarienne, j'étais de nouveau enceinte. La joie prudente a commencé à chasser l'ombre du deuil. Antoine était aux anges, encore plus attentionné qu'avant. Il a insisté pour que je sois suivie dans une nouvelle clinique privée, la meilleure de Paris, disait-il, dirigée par un de ses vieux amis, le Dr. Lefevre.
C'est lors d'un de ces examens prénataux que mon monde a volé en éclats. Le Dr. Lefevre avait été appelé pour une urgence. J'attendais Antoine, qui était parti prendre un café. La porte du couloir était restée entrouverte. J'ai entendu sa voix, mais ce n'était pas le ton doux et aimant qu'il utilisait avec moi. C'était un ton pressé, presque agacé.
« Oui, Coralie, tout va bien. La grossesse se déroule parfaitement... Non, elle ne se doute de rien. Elle pense toujours que le premier est mort. »
Coralie. Le nom a résonné dans ma tête. Coralie Bernard. Sa maîtresse. Je le savais, j'avais eu des doutes par le passé, mais j'avais choisi de les ignorer, de croire à ses dénégations.
« Sois patiente, mon amour », a continué Antoine au téléphone.
« Dans quelques mois, notre deuxième enfant sera avec toi, avec son grand frère. Lefevre est le meilleur, il s'assurera que tout se passe bien. Il faut juste qu'elle tienne jusqu'au bout. »
Mon premier enfant. Mon fils. Il n'était pas mort. Il était vivant. Et il était avec elle. Ce deuxième enfant, celui qui grandissait en moi, lui était aussi destiné. J'étais une mère porteuse. Un simple ventre pour les enfants de mon mari et de sa maîtresse stérile. Le sol s'est dérobé sous mes pieds. Je me suis agrippée au mur pour ne pas m'effondrer, le souffle coupé, le cœur battant une cadence folle et douloureuse dans ma poitrine.
Quand Antoine est revenu dans la pièce, un sourire radieux sur le visage, un gobelet de café à la main, il a vu mon teint pâle.
« Ça ne va pas, mon amour ? Tu es fatiguée ? »
J'ai secoué la tête, incapable de parler. Le goût de la bile montait dans ma gorge. J'ai regardé cet homme que je pensais connaître, cet homme pour qui j'aurais donné ma vie. Et pour la première fois, je l'ai vu tel qu'il était vraiment. Un monstre au visage d'ange. Mon chagrin s'est transformé en une haine glaciale. Mon cœur n'était plus brisé, il était mort. Et à sa place, une résolution froide et tranchante a pris racine. Je devais jouer son jeu. Je devais feindre l'ignorance. Pour survivre. Et pour mon enfant.