Le secret d'Antoine
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Chapitre 3

Quelques jours plus tard, alors qu'Antoine était sorti pour un "dîner d'affaires", le Dr. Lefevre m'a appelée sur mon portable. Sa voix était basse, urgente.

« Jeanne, je sais que ce n'est pas ma place... mais je dois vous parler. Seule. »

Il est arrivé une demi-heure plus tard. Je l'ai fait entrer dans le salon, cet espace autrefois chaleureux, maintenant une scène de théâtre où je jouais mon rôle. Il a refusé de s'asseoir. Il faisait les cent pas, visiblement tourmenté.

« Je ne peux plus cautionner ça », a-t-il fini par dire, s'arrêtant pour me faire face.

« J'ai confronté Antoine. Je lui ai demandé s'il t'aimait. Vraiment. »

J'ai attendu, le cœur suspendu.

« Et qu'a-t-il répondu ? » ai-je demandé d'une voix que je voulais neutre.

« Il a dit... il a dit qu'il te serait reconnaissant toute sa vie. Qu'il prendrait soin de toi, qu'il s'assurerait que tu ne manques de rien. Il a parlé de compensation, de responsabilité. Il n'a jamais utilisé le mot 'amour'. »

La reconnaissance. La responsabilité. Le prix d'un utérus et de deux enfants. Mes larmes, si longtemps contenues, ont commencé à couler. Je n'ai même pas essayé de les cacher. Le Dr. Lefevre a eu la décence de détourner le regard.

« Je suis désolé, Jeanne. Je suis son ami depuis l'université, mais ce qu'il fait... c'est monstrueux. »

Après son départ, je me suis réfugiée dans la chambre que nous avions préparée pour le "premier" bébé. Tout était encore là. Le berceau, la petite commode, les peluches sur l'étagère. J'ai fermé la porte, je me suis laissée glisser au sol et j'ai hurlé. Un cri silencieux, un hurlement de l'âme qui ne franchissait pas mes lèvres. J'ai pleuré pour mon fils volé, pour l'enfant à naître qui me serait arraché, pour la femme crédule et amoureuse que j'avais été.

La porte s'est ouverte. C'était Antoine, rentré plus tôt que prévu. Il m'a vue là, sur le sol, en larmes. En une seconde, il était à genoux à côté de moi, me prenant dans ses bras.

« Oh, mon amour... Tu penses encore à lui... C'est normal. Ne t'inquiète pas. Bientôt, nous aurons notre bonheur. »

Je me suis laissée faire, mon corps rigide dans son étreinte. Je devais continuer à jouer.

« J'ai rêvé de lui, Antoine », ai-je murmuré contre son cou, ma voix rauque de larmes feintes.

« Je le tenais dans mes bras. Il était si petit. »

C'était un test. Je voulais voir son visage, sa réaction. Il s'est reculé, m'a regardé avec une infinie tristesse mise en scène.

« Je sais, Jeanne. Je sais que ça fait mal. Mais ce nouveau bébé va guérir cette blessure. Tu seras la plus heureuse des mères, je te le promets. »

La plus heureuse des mères. L'ironie était si cruelle qu'elle m'a presque fait rire. J'ai observé son visage, chaque muscle contracté pour exprimer une compassion qu'il ne ressentait pas. J'ai comparé ce masque à la froideur de ses paroles dans le bureau du médecin. C'était ça, la différence entre l'amour et le mensonge. L'un est une présence, l'autre une performance.

Plus tard dans la soirée, il a sorti une seringue.

« Le Dr. Lefevre a dit que tu avais besoin de repos. C'est un mélange de vitamines et un léger sédatif. Pour t'aider à dormir sans faire de cauchemars. »

J'ai compris. Il ne voulait pas seulement me reposer. Il voulait me contrôler. M'abrutir. M'empêcher de penser, de comprendre. J'ai tendu mon bras, le cœur battant à tout rompre. Il a désinfecté ma peau avec une douceur calculée avant de piquer. J'ai senti le liquide froid se répandre dans mes veines, une somnolence lourde s'emparer de mon corps et de mon esprit.

Alors que je sombrais dans un sommeil forcé, je l'ai entendu. Il pensait que je dormais profondément. Il était sur le balcon, sa voix un murmure confiant au téléphone.

« Oui, mon amour... Elle est un peu émotive ce soir, mais je lui ai donné son injection. Elle dormira comme un bébé... Non, ne t'inquiète pas pour la ressemblance. C'est pour ça que j'ai retardé le dernier examen morphologique. Je ne veux pas qu'elle voie le visage du bébé et qu'elle fasse le lien... Oui, il te ressemblera, comme son frère... Moi aussi je t'aime, Coralie. »

Le lien. Il avait peur que je voie les traits de mon propre enfant et que je comprenne qu'il ne pouvait pas être le mien, mais celui de Coralie. La préméditation était totale, méticuleuse, diabolique. Même dans la brume du sédatif, une dernière pensée lucide m'a transpercé l'esprit : je n'étais pas dans un mariage, j'étais dans une prison. Et mon geôlier dormait à côté de moi.

            
            

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