Les Années 80, Mon Retour
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Chapitre 1

Je me suis réveillée avec une sensation de flottement, comme si je sortais d'un long rêve. La première chose que j'ai vue, c'est le plafond familier de ma chambre d'adolescente, avec ses petites fissures que je connaissais par cœur. Mon corps était jeune, plein d'une énergie que j'avais oubliée depuis des décennies. J'ai regardé mes mains, lisses et sans les taches de vieillesse qui les marquaient à la fin de ma vie.

Je m'appelais Jeanne Dubois, et j'étais de retour dans les années 80. J'avais vingt ans.

Une pensée a immédiatement traversé mon esprit, si puissante qu'elle a fait battre mon cœur à tout rompre : Marc. Mon mari. L'homme avec qui j'avais partagé cinquante ans de vie, de joies et de peines. S'il m'était arrivé, à moi, ce miracle incroyable, alors peut-être que lui aussi...

L'idée était folle, mais elle s'est ancrée en moi. J'ai alors commencé à observer. Marc Dubois, mon Marc, n'était pas encore mon mari dans cette vie. C'était le garçon le plus brillant de notre quartier, le premier à être allé à l'université. Dans notre première vie, il avait suivi un chemin tout tracé, devenant ingénieur dans l'usine locale, un poste stable mais sans éclat.

Mais cette fois, quelque chose était différent. J'ai appris par les nouvelles du quartier qu'il avait changé de spécialité à l'université, optant pour le commerce international, une voie audacieuse et pleine de promesses à cette époque. C'était un choix qui ne lui ressemblait pas, du moins pas au Marc que j'avais connu. Cette décision a confirmé mes soupçons : il était revenu, lui aussi. Il voulait une vie différente, une vie meilleure. Et j'étais prête à la construire avec lui, à nouveau.

Aujourd'hui, c'était le grand jour. Le jour de son retour après l'obtention de son diplôme. Le bus de la ville devait le déposer sur la place principale, juste en face de l'usine où je travaillais.

« Jeanne, tu ne manges pas ? »

La voix de ma mère m'a tirée de mes pensées. Elle me regardait avec une inquiétude affectueuse, posant une brioche chaude devant moi.

« J'ai pas très faim, maman. »

« Tu es nerveuse à cause du retour de Marc, c'est ça ? »

J'ai hoché la tête, incapable de formuler les espoirs immenses qui m'agitaient. Comment lui expliquer que mon impatience n'était pas celle d'une jeune fille amoureuse, mais celle d'une vieille femme qui retrouvait l'amour de sa vie ?

Dans notre vie passée, Marc et moi étions le couple modèle du quartier. Un mariage simple, deux enfants, une vie de labeur sans grands drames. Il était un mari attentionné, un père responsable. Il n'était pas très démonstratif, mais je savais qu'il m'aimait. Je le sentais dans la façon dont il me tenait la main quand nous marchions, dans la manière dont il s'assurait toujours que j'avais un manteau assez chaud en hiver.

Je me souvenais de nos derniers instants, sur son lit d'hôpital. Ses mains, ridées et tremblantes, serraient les miennes.

« Jeanne, si on pouvait tout recommencer... je te retrouverais. Je ferais tout mieux, je te rendrais plus heureuse. »

Ses mots étaient un murmure rauque, mais ils s'étaient gravés dans mon âme.

« Tu m'as déjà rendue heureuse, Marc. »

« Non. Pas assez. La prochaine fois, je te donnerai le monde. »

La prochaine fois. Ces mots résonnaient en moi. C'était notre prochaine fois. Son choix d'études, son ambition nouvelle, tout ça, c'était pour moi. Pour nous. Pour tenir sa promesse.

L'attente était insoutenable. J'ai regardé l'horloge murale de la cuisine. Le bus allait bientôt arriver. J'avais mis ma plus belle robe, une robe bleue que ma mère m'avait confectionnée. Je voulais être la première personne qu'il verrait en descendant. Je voulais voir son regard s'illuminer en me reconnaissant, en comprenant que nous avions eu cette seconde chance ensemble.

Le sifflet de l'usine a retenti, marquant la fin de la journée de travail. Des flots d'ouvriers et d'ouvrières ont commencé à se déverser sur la place. L'excitation a monté d'un cran. Tout le monde parlait du retour de Marc, l'enfant prodige du quartier.

« Il paraît qu'il a déjà des offres d'emploi à Paris ! »

« Un vrai génie, ce gamin. Il va aller loin. »

J'écoutais ces conversations avec un sourire fier. C'était mon Marc.

Enfin, j'ai vu le bus approcher au loin, soulevant un nuage de poussière sur la route. Mon cœur s'est emballé. C'était le moment. Le début de notre nouvelle vie.

Le bus s'est arrêté dans un grincement de freins. La porte s'est ouverte. Et il est apparu.

Il était encore plus beau que dans mes souvenirs. Le soleil de fin d'après-midi illuminait ses cheveux sombres. Il portait une chemise blanche impeccable et un pantalon bien coupé, si différent des vêtements de travail qu'il portait habituellement. Il avait l'air sûr de lui, un homme qui savait où il allait. Nos regards se sont croisés une fraction de seconde. J'ai cru voir une étincelle, une reconnaissance. J'ai fait un pas en avant, un sourire immense sur les lèvres, prête à l'accueillir.

Mais il ne s'est pas arrêté.

Il a continué d'avancer, son regard balayant la foule. Il est passé juste à côté de moi, si près que j'ai senti le souffle de son passage. Mon sourire s'est figé. Mon corps s'est glacé.

Il s'est dirigé droit vers un autre groupe de personnes. Au centre de ce groupe se tenait Liliane Martin, la fille la plus populaire de l'usine voisine. On l'appelait la "fleur de l'usine". Belle, rieuse, elle était le centre de l'attention partout où elle allait.

Marc s'est arrêté devant elle. Il a pris une profonde inspiration, et d'une voix claire et forte, qui a porté sur toute la place, il a déclaré :

« Liliane, depuis des années, je n'étudie et ne travaille que pour une seule chose : être digne de toi. Maintenant que je suis de retour, veux-tu me donner une chance ? »

Le monde s'est effondré autour de moi.

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