« Bois, ma chérie, ça va refroidir, » insista doucement Geneviève, son regard fixé sur moi avec une intensité anormale. Elle voulait s'assurer que je consomme chaque goutte de ce poison.
Je devais gagner du temps. Je devais trouver un moyen de me débarrasser de cette potion sans éveiller leurs soupçons.
J'ai porté la tasse à mes lèvres, faisant semblant de vouloir boire, puis je me suis arrêtée net.
« Oh, attends, » dis-je, posant la tasse sur la table basse. « J'ai complètement oublié, je dois prendre mes vitamines. Maman insiste pour que je les prenne avant de dormir, sinon elle dit que je vais manquer d'énergie pour demain. »
Je me suis levée, souriant innocemment. C'était un mensonge, bien sûr, mais un mensonge plausible.
Le visage de Geneviève s'est légèrement crispé. L'impatience se lisait dans ses yeux. Elle ne voulait aucun délai.
« Tu pourras les prendre après, Camille. La tisane est meilleure chaude. »
« Ça ne prendra qu'une seconde, » ai-je répondu d'un ton léger, me dirigeant déjà vers la cuisine.
Léa, toujours affalée sur le canapé, a levé les yeux de son téléphone, l'air anxieux. Leurs regards se sont croisés une fraction de seconde, un échange silencieux plein de tension. Elles ne voulaient pas me laisser seule, même pour un instant. Geneviève s'est levée, me suivant de près.
« Laisse-moi t'aider à trouver. Ta mère range tout n'importe comment dans ces placards. »
Elle me collait, sa présence était une pression constante dans mon dos. Je suis entrée dans la cuisine, mon cœur battant la chamade. Je n'avais aucun plan. Comment allais-je faire ? Le plan de la vitamine était stupide, il ne me donnait que quelques secondes.
Soudain, j'ai entendu un petit grattement à la fenêtre de la cuisine, celle qui donnait sur le jardin. Un miaulement faible a suivi.
Mistigri.
C'était lui. Le petit chat noir et blanc, avec ses grands yeux verts, était assis sur le rebord de la fenêtre, me regardant. Une vague d'émotion m'a submergée. Ce petit être innocent avait été une victime collatérale de leur complot. Le voir là, maintenant, c'était un signe.
Une idée a germé dans mon esprit. Une idée risquée, mais c'était ma seule chance.
« Oh, regarde qui est là ! » m'exclamai-je, ma voix pleine d'une joie sincère. « C'est Mistigri ! »
J'ai ouvert la fenêtre. Le chat a sauté à l'intérieur avec agilité, se frottant immédiatement contre mes jambes en ronronnant.
Geneviève a reculé d'un pas, son visage affichant un dégoût mal dissimulé.
« Camille, ne laisse pas cette bête pleine de puces entrer dans la maison ! C'est dégoûtant. »
« Mais non, il est adorable ! » ai-je dit en le prenant dans mes bras. Je l'ai caressé, sentant son petit corps vibrer contre moi. C'était une excuse parfaite. Mon attention était entièrement tournée vers le chat, et la leur aussi.
Pendant que Geneviève me réprimandait sur l'hygiène et les maladies que les chats errants pouvaient transmettre, je me suis déplacée nonchalamment dans la cuisine, le chat toujours dans mes bras. J'ai contourné l'îlot central, me plaçant dos à elle, juste à côté du grand ficus que ma mère adorait.
D'un geste rapide et précis, alors qu'elle était distraite par le chat qui essayait de grimper sur mon épaule, j'ai penché la tasse de tisane et j'ai versé tout son contenu dans le pot de la plante. Le liquide a été absorbé instantanément par la terre sèche.
Personne n'a rien vu.
J'ai reposé le chat par terre, qui s'est immédiatement mis à explorer la cuisine. Puis, je suis retournée vers la table basse du salon, la tasse vide à la main.
J'ai porté la tasse à mes lèvres, inclinant la tête en arrière comme si je buvais la dernière goutte. J'ai même laissé échapper un petit soupir de satisfaction.
« Mmm, c'était vraiment délicieux, Tata. Merci beaucoup. Je me sens déjà plus détendue. »
Geneviève m'a regardée, ses yeux plissés cherchant le moindre signe de mensonge. Mais mon jeu était parfait. J'avais l'air reconnaissante et apaisée. Finalement, son visage s'est détendu et le sourire triomphant qu'elle essayait de cacher est revenu.
« Je suis contente que ça te plaise, ma chérie. Maintenant, va te coucher. Tu as besoin de toutes tes forces pour demain. »
Elle m'a fait un baiser sur le front, un baiser froid et hypocrite.
« Léa et moi, on va y aller. On se voit demain, directement là-bas. »
« Bonne nuit, Tata. Bonne nuit, Léa, » ai-je dit, mon sourire ne faiblissant pas.
Léa a marmonné un "bonne nuit" sans me regarder et a suivi sa mère vers la porte.
Alors qu'elles sortaient, j'ai entendu Geneviève chuchoter à sa fille, sa voix pleine d'une confiance arrogante :
« Tout se passe comme prévu. Demain, ce sera ton jour de gloire. »
J'ai fermé la porte derrière elles, le silence retombant enfin dans la maison. Je me suis appuyée contre la porte, laissant échapper le souffle que je retenais. Mon corps tremblait. J'avais réussi. La première étape était franchie.
Demain, ce ne sera pas son jour de gloire. Demain, ce sera le début de leur chute. Et j'en serai le témoin privilégié.