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Quelques jours plus tard, Chloé était assise dans le petit salon de sa maison, la nappe tachée pliée sur une table basse, comme une preuve silencieuse du drame. Elle essayait de se concentrer sur un livre, mais les mots dansaient devant ses yeux.
"Mademoiselle, Monsieur Antoine est là !" annonça la domestique d'une voix hésitante.
Chloé ne répondit pas. Antoine entra, un sourire désinvolte aux lèvres, comme si de rien n'était.
"Chloé, ma chérie, ne te fatigue pas avec ces vieilleries," dit-il en désignant la broderie.
Chloé leva les yeux vers lui, surprise.
"Tu ne devais pas être à la fête que Manon organise sur sa péniche ?"
Il eut une petite toux, un signe de gêne qu'elle connaissait bien.
"J'ai annulé. J'ai quelque chose de très important à te dire."
Il s'assit en face d'elle, se pencha en avant, adoptant un air conspirateur.
"Écoute, Chloé. Manon est... particulière. Elle refuse d'être simplement ma maîtresse. Elle veut être ma femme. Elle veut le titre."
Le cœur de Chloé se serra. Elle posa son livre, ses mains glacées.
"Et donc ?" demanda-t-elle d'une voix blanche.
"Donc, j'ai pensé à une solution," continua-t-il, visiblement satisfait de son idée. "Nous nous marions, elle et moi. C'est ce qu'elle veut. Mais toi, tu restes avec moi. Tu seras celle que j'aime vraiment, loin des obligations."
Le choc la laissa sans voix pendant un instant.
"Tu veux que je devienne ta maîtresse ?" réussit-elle à articuler.
Le visage d'Antoine se durcit. Son ton devint agacé.
"Ne sois pas si mesquine, Chloé. Pourquoi es-tu si terre-à-terre ? D'habitude, tu es si compréhensive. Ce n'est qu'un statut, une formalité pour calmer Manon et son père."
Compréhensive. Le mot la frappa avec violence. Toute sa vie, on lui avait demandé d'être compréhensive, d'être discrète, d'accepter. Mais ceci... c'était trop. C'était une humiliation qu'elle ne pouvait pas supporter.
Sans un mot, elle se leva. Elle prit la nappe en soie tachée de son propre sang et la jeta avec force à ses pieds. Le tissu léger flotta un instant avant de s'écraser sur le parquet.
"Jeanne," appela-t-elle sa domestique d'une voix ferme. "Préparez la voiture. Je vais voir ma mère."
Elle quitta la pièce sans un regard pour Antoine, qui la fixait, abasourdi.
Une heure plus tard, elle était dans le salon de sa mère, une femme élégante mais dont le visage était marqué par l'inquiétude.
"Maman," dit Chloé, sa voix ne tremblant pas. "Je veux rompre mes fiançailles avec Antoine."
Sa mère poussa un soupir de soulagement.
"Enfin, ma chérie. C'est la meilleure décision. Cet homme est une honte."
"Ce n'est pas tout," continua Chloé. "Je veux épouser Laurent."
Sa mère la dévisagea, la bouche entrouverte. Laurent. L'oncle d'Antoine. Un homme puissant, respecté, mais aussi un homme solitaire, énigmatique, de vingt ans son aîné. Un homme qui n'avait jamais montré le moindre intérêt pour le mariage.
"Quoi ?" fut le seul mot que sa mère put prononcer.