Je suis resté debout dans le salon, le poing serré autour d'une petite clé USB. C'était tout ce qu'il me restait de mon père, son dernier espoir, une archive cryptée de ses recherches. Sophie était morte en essayant de la déchiffrer. Assassinée.
Ma mère est sortie de la cuisine, un sourire aux lèvres, portant un plat qui sentait bon.
« Antoine, tu es là. Tu ne dis rien ? Viens, aide-moi à mettre la table. Jean-Luc va bientôt arriver. »
Je n'ai pas bougé.
« On enterre Sophie demain, maman. »
Son sourire s'est figé. Elle a posé le plat sur la table à manger, évitant mon regard.
« Je sais, Antoine. C'est une tragédie. Mais la vie doit continuer. Jean-Luc dit qu'il ne faut pas se laisser abattre par le chagrin. »
Jean-Luc. Toujours Jean-Luc.
C'est lui qui lui a présenté les gens de la corporation pharmaceutique, ceux-là même que mon père accusait de vol et de menaces avant de disparaître. C'est cette corporation qui a fait pression sur la police pour clore l'enquête sur la mort de Sophie, la classant comme un simple cambriolage qui a mal tourné.
« La vie doit continuer ? »
Ma voix était basse, rauque.
« Sophie est morte à cause de la formule de papa. Cette formule que la corporation voulait. La même corporation avec qui ton cher Jean-Luc fait des affaires. »
Ma mère a finalement levé les yeux vers moi, son regard dur.
« Arrête ça, Antoine. Tu deviens paranoïaque, comme ton père. Jean-Luc m'aide. Il nous aide. La corporation nous a même offert une compensation généreuse pour... l'accident de Sophie. »
Une compensation.
Ils appelaient ça une compensation. Le prix du silence.
« Je ne veux pas de leur argent. Je veux la justice. »
« La justice ? »
Elle a ri, un rire sec, sans joie.
« Et comment comptes-tu l'obtenir ? En te battant contre une des plus grandes entreprises du monde ? Sois réaliste. Ton père a essayé, regarde où ça l'a mené. Disparu. Et Sophie... Sophie a été imprudente. »
Chaque mot était comme un coup de poing dans l'estomac.
Mon propre père, un homme qui a tout sacrifié pour sa famille, pour une découverte qui aurait pu changer le monde. Ma sœur, une étudiante en physique brillante, tuée parce qu'elle était trop proche de la vérité. Et ma mère, la femme qui devrait se battre à mes côtés, les avait déjà remplacés.
« Papa n'était pas paranoïaque, il avait raison. Et Sophie n'était pas imprudente, elle était courageuse. Elle est morte pour quelque chose en quoi elle croyait. En quoi nous devrions tous croire. »
Je tremblais de rage et de chagrin.
La porte d'entrée s'est ouverte.
Jean-Luc est entré, un large sourire sur son visage lisse, un bouquet de fleurs à la main.
« Marie, ma chérie ! J'ai apporté tes fleurs préférées. »
Il a vu mon expression et son sourire s'est légèrement crispé.
« Ah, Antoine. Toujours aussi... intense. J'espère que tu ne déranges pas ta mère avec tes théories du complot. »
Il s'est approché de ma mère et l'a embrassée, posant une main possessive sur sa taille.
« Il parlait encore de son père et de sa sœur, » a dit ma mère d'un ton las. « Il ne veut pas comprendre que c'est fini. »
Jean-Luc m'a regardé, un éclat de mépris dans les yeux.
« Écoute, mon garçon. Certaines choses sont trop grandes pour toi. Ton père était un homme brillant, mais il ne comprenait pas comment le monde fonctionne. Il y a des forces que tu ne peux pas combattre. Accepte-le. Pour le bien de ta mère. »
Il parlait avec l'arrogance d'un homme qui a déjà gagné. Il représentait tout ce que je haïssais : la corruption, le mensonge, le pouvoir qui écrase les innocents.
« Je n'accepterai jamais, » ai-je dit, ma voix devenant plus forte. « Je vengerai mon père et ma sœur. Je découvrirai la vérité. »
J'ai brandi la clé USB.
« Papa m'a laissé ça. Tout est là-dedans. Les preuves. Tout. Et je les utiliserai. »
Le visage de Jean-Luc s'est durci. Pour la première fois, j'ai vu une lueur d'inquiétude dans ses yeux, rapidement masquée par son assurance habituelle.
Ma mère a secoué la tête, le désespoir sur son visage.
« Antoine, s'il te plaît. Arrête. Tu vas tout gâcher. »
Je l'ai regardée, le cœur brisé. La famille Dubois, autrefois unie et forte, n'était plus qu'une ruine. Mon père disparu, ma sœur morte, et ma mère alliée à l'ennemi. J'étais seul.
Mais je tenais fermement la clé USB. C'était plus qu'une simple mémoire de données. C'était l'héritage de mon père. C'était la justice de Sophie. C'était ma seule raison de continuer à me battre.
« Je ne gâche rien, » ai-je dit en reculant vers la porte. « Je commence seulement. »