Isabelle est arrivée à ce moment-là, les yeux rouges et gonflés.
"Camille, je suis tellement désolée. J'ai tout vu. Il t'a poussée. Et puis à l'hôpital... il était comme un fou. J'ai eu peur. J'ai eu si peur pour toi. Comment ai-je pu être aussi aveugle ?"
Elle s'est effondrée en larmes à mon chevet. Je lui ai pris la main.
"Ce n'est pas ta faute, Isa. Il est très doué pour manipuler les gens."
Alors que j'étais allongée là, entourée de ces personnes qui se souciaient vraiment de moi, un souvenir de ma vie passée m'est revenu avec une clarté douloureuse. Après que Marc m'ait abandonnée, j'étais tombée dans une profonde dépression. J'avais dû vendre les œuvres de ma famille une par une pour survivre. Un jour, j'ai découvert qu'un acheteur anonyme rachetait systématiquement les toiles les plus importantes, celles de mon père, pour des sommes bien supérieures à leur valeur. Il les plaçait ensuite dans un fonds fiduciaire à mon nom, s'assurant que je ne puisse pas les vendre mais que je reçoive des revenus pour vivre. Je n'ai jamais su qui c'était. Je pensais que c'était un admirateur de mon père.
Mais maintenant, en regardant le visage de Thomas, si plein de sollicitude, j'ai su. C'était lui. Pendant toutes ces années de solitude et de désespoir, il avait veillé sur moi à distance, silencieusement, sans jamais rien demander en retour. Il avait sauvé ce qui pouvait l'être de mon héritage, et par la même occasion, il m'avait sauvée.
Des larmes ont coulé sur mes joues, mais pour la première fois, ce n'étaient pas des larmes de tristesse. C'étaient des larmes de gratitude. J'ai serré la main de Thomas plus fort.
"Merci," ai-je murmuré.
Il a froncé les sourcils, confus. "Pour quoi ?"
"Pour tout," ai-je répondu.
Je savais maintenant ce que je devais faire. Ma décision était prise, gravée dans mon cœur. Ma nouvelle vie serait avec cet homme. L'homme qui avait aimé mon art, respecté mon héritage et pris soin de moi sans même que je le sache.
Comme pour tester ma résolution, la porte s'est ouverte sur la personne que je voulais le moins voir au monde : la mère de Marc, Madame Fournier. Elle est entrée, le menton haut, un air de supériorité glacial sur le visage. Elle n'a même pas regardé mon état.
"Camille," a-t-elle commencé d'un ton sec, "cet incident est très regrettable. Il nuit à la réputation de nos deux familles. Marc est dévasté, bien sûr. Pour mettre fin à ce scandale au plus vite, nous avons décidé d'avancer la date du mariage. Nous ferons une annonce officielle dès demain."
J'ai cru que j'allais m'étouffer. Ils osaient ? Après tout ça, ils osaient encore essayer de me lier à eux ?
Avant que je puisse répondre, la porte s'est rouverte en grand. Une femme d'âge mûr, élégante et au sourire chaleureux, est entrée, suivie de plusieurs autres personnes, hommes et femmes, tous l'air sympathique et concerné.
"Excusez-nous," dit la femme en s'adressant à moi. "Je suis Hélène Bernard, la mère de Thomas. Il nous a appelés, nous étions si inquiets."
Elle s'est approchée du lit, m'a pris la main et a dit : "Ma pauvre enfant, vous devez vous sentir si seule. Ne vous inquiétez pas, nous sommes là."
D'autres personnes se sont présentées : le père de Thomas, un homme à l'allure d'un professeur d'université ; son frère, un architecte souriant ; sa sœur, une avocate au regard vif. Ils ont rempli la petite chambre d'hôpital d'une chaleur et d'une bienveillance qui contrastaient violemment avec la froideur de Madame Fournier.
Hélène Bernard a alors regardé Madame Fournier, qui semblait pétrifiée par cette invasion.
"Madame, je crois que vous êtes en train de faire une terrible erreur. Camille n'a pas l'air d'avoir l'intention d'épouser votre fils."
Puis, se tournant vers moi avec un clin d'œil complice, elle a ajouté :
"En revanche, si elle cherchait un mari dévoué, aimant et qui sait reconnaître la vraie valeur des choses, mon Thomas est disponible. En fait, nous serions honorés de l'accueillir dans notre famille."
C'était si audacieux, si inattendu, que j'ai éclaté de rire, un rire qui venait du fond du cœur. Thomas est devenu rouge pivoine, mais il n'a pas reculé. Il m'a regardée, les yeux pleins d'espoir.
Je me suis redressée dans mon lit, ignorant la douleur dans ma tête. J'ai regardé Madame Fournier droit dans les yeux, puis j'ai tourné mon regard vers Thomas, qui retenait son souffle.
D'une voix claire et forte, j'ai annoncé ma décision à toute l'assemblée.
"Madame Fournier, vous pouvez dire à votre fils que nos fiançailles sont rompues. Définitivement."
Puis, je me suis tournée vers Thomas, un sourire immense sur les lèvres.
"Thomas Bernard, j'accepte votre proposition."