Le visage suffisant de Marc Fournier, mon fiancé, flottait à la périphérie de ma vision. Il parlait avec un collectionneur potentiel, son sourire charmeur était parfaitement en place. Ce sourire qui m'avait autrefois fait fondre me donnait maintenant la nausée.
Dans ma vie passée, j'avais tout donné à cet homme. J'étais Camille Dubois, héritière d'une famille d'artistes respectés. Mon père était un peintre de renom, et notre nom était synonyme de talent et d'intégrité. J'avais cru que Marc, un galeriste influent, aimait mon art, mon héritage, et moi.
Quelle idiote j'avais été.
Il a utilisé ma naïveté et l'amour de ma famille. Il s'est approprié nos œuvres, les vendant à des prix exorbitants dans notre dos, tout en nous laissant croire qu'il travaillait pour notre bien. Il a vidé nos comptes, nous a laissés sans rien. Et le pire, c'est qu'il a organisé sa propre mort dans un faux accident de voiture pour disparaître avec une autre femme, me laissant anéantie, endettée et seule pour affronter le deuil et la ruine.
Je suis morte seule, dans la pauvreté, en apprenant par hasard, via un article en ligne, qu'il menait une vie de luxe à l'autre bout du monde. Il ne m'avait jamais aimée. J'étais juste un pion, un outil pour son ascension sociale et financière.
Mais maintenant, j'étais de retour. J'avais une seconde chance. Et je n'allais pas la gâcher.
Mon père s'est approché de moi, son regard bienveillant posé sur mon visage.
"Camille, ma chérie, tout va bien ? Tu as l'air pâle."
J'ai forcé un sourire.
"Tout va bien, Papa. Je réfléchissais juste."
Son regard a balayé la pièce, s'arrêtant sur Marc, puis sur un autre homme, plus discret, qui se tenait près d'une des toiles de mon père. C'était Thomas Bernard, un critique d'art indépendant. Je me souvenais de lui. Il avait toujours écrit des critiques passionnées et perspicaces sur le travail de ma famille, des critiques qui montraient qu'il comprenait vraiment l'âme de nos œuvres, contrairement à Marc qui n'y voyait que des chiffres.
"Marc est un jeune homme brillant," a dit mon père, un peu déconnecté des réalités du marché de l'art. "Il a un grand avenir. Et Thomas... il a une passion pure pour l'art. C'est rare de nos jours."
Dans ma vie passée, à cette même question implicite, j'avais répondu sans hésiter que Marc était l'homme de ma vie. Cette fois, je n'ai rien dit. J'ai simplement regardé Thomas. Il a senti mon regard et a levé les yeux. Une lueur de surprise et quelque chose de plus profond, une admiration timide, a traversé son visage avant qu'il ne détourne les yeux, mal à l'aise.
Je savais qu'il m'admirait en secret. Dans ma vie passée, après ma "chute", il avait été l'un des seuls à tenter de m'aider, de manière anonyme.
J'ai pris ma décision. J'ai vidé mon verre d'un trait et l'ai posé sur un plateau qui passait. J'ai ignoré Marc qui me faisait signe de le rejoindre et j'ai commencé à marcher, non pas vers lui, mais dans la direction opposée.
Mon amie, Isabelle Moreau, m'a interceptée.
"Camille ! Où vas-tu comme ça ? Marc t'attend. Tu ne vas pas le laisser seul avec le critique d'art le plus important de la ville ?"
Isabelle, ma chère Isabelle. Elle aussi avait été aveuglée par le charisme de Marc. Elle avait fini par me tourner le dos, déçue par mes échecs, sans jamais savoir qu'il en était la cause.
"Je vais prendre l'air, Isa. Je ne me sens pas très bien."
Marc m'a vue m'éloigner et a froncé les sourcils. Il a dit quelque chose au collectionneur et s'est dirigé vers moi, son expression agacée.
"Camille, qu'est-ce que tu fais ? On est en pleine négociation. Ta place est à mes côtés."
Sa voix était autoritaire, possessive. Avant, j'aurais trouvé ça rassurant. Maintenant, ça me glaçait le sang.
Je l'ai regardé droit dans les yeux.
"Ma place est où je décide qu'elle est, Marc."
Il a été surpris par ma réponse. Il n'était pas habitué à ce que je lui tienne tête.
"Pardon ? Qu'est-ce qui te prend ce soir ?"
"Rien. Juste une prise de conscience," ai-je dit froidement avant de lui tourner le dos et de me diriger vers la grande porte-fenêtre qui donnait sur le jardin.
Alors que je passais à côté de lui, j'ai vu quelque chose dans ses yeux. Un éclair étrange, une confusion qui ne semblait pas seulement due à ma soudaine rébellion. C'était presque comme s'il me voyait pour la première fois, ou comme s'il se souvenait de quelque chose. Une pensée folle m'a traversé l'esprit. Et si... et s'il était lui aussi revenu ? L'idée était absurde, mais je ne pouvais pas la chasser.