Huit Ans de Haine
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Chapitre 3

L'homme, déconcerté par l'intervention de Sophie, marmonne quelques excuses et s'éloigne avec ses amis. Le silence qui s'installe est pesant.

Sophie se tourne vers moi, l'inquiétude se lisant sur son visage. « Ça va ? Ces hommes sont des porcs. »

Je hoche la tête, incapable de parler. La gentillesse inattendue de cette femme, la fiancée de mon pire ennemi, me déstabilise.

« Vous ne devriez pas vous laisser traiter comme ça, » continue-t-elle doucement. « Vous valez mieux que ça. »

Je la regarde. Elle est jeune, belle, issue d'un monde où l'on n'a pas à vendre son âme pour survivre. Elle ne peut pas comprendre. Elle ne peut pas savoir que chaque centime que Moreau me donne paie les soins de ma mère, une femme qu'elle ne connaîtra jamais, mais dont la vie a été brisée par l'homme qui se tient à ses côtés.

Dans ma tête, je lui crie : Tu ne sais rien ! Tu ne sais rien du prix de la survie, du coût d'une vie !

Mais à voix haute, je ne dis rien.

Marc, qui avait observé la scène en silence, tire Sophie par le bras. « On y va, Sophie. Ne perds pas ton temps avec elle. »

Alors qu'ils s'éloignent, Monsieur Moreau revient vers moi, le visage sombre. L'incident n'est pas passé inaperçu.

« Tu as fait une scène, Jeanne, » dit-il d'une voix glaciale. « Je n'aime pas ça. »

« Ce n'est pas ma faute, » je murmure.

« Ça l'est toujours, » rétorque-t-il. Il me saisit le bras avec force. « On s'en va. »

Il me traîne hors de la salle de réception, à travers les couloirs luxueux de l'hôtel, jusqu'au parking souterrain. L'air est froid et sent le béton humide. Dès que nous sommes à l'abri des regards, il me plaque contre notre voiture.

« Tu m'as humilié ! » siffle-t-il, son visage à quelques centimètres du mien. « Tu es à moi ! Tu m'appartiens ! Tu souris quand je te le dis, tu bois quand je te le dis ! C'est clair ? »

Sa poigne sur mes bras est douloureuse. La peur, une vieille compagne, me serre la gorge. Je ne réponds pas, fixant un point au-dessus de son épaule.

Sa colère monte. Il lève la main, prêt à me frapper.

« Lâche-la. »

La voix de Marc résonne dans le parking silencieux. Il est là, à quelques mètres, seul cette fois.

Moreau se retourne, surpris. « Leclerc. Mêle-toi de tes affaires. »

« J'ai dit, lâche-la, » répète Marc, s'approchant lentement. Il y a une menace dans sa posture, une violence contenue qui fait hésiter Moreau.

Moreau me relâche brusquement. « Très bien. De toute façon, cette salope ne vaut même pas la peine que je me salisse les mains. » Il me jette un regard plein de haine. « Rentre à pied. »

Puis il monte dans sa voiture et démarre en trombe, me laissant seule avec Marc.

Je m'adosse au mur, tremblante. Les larmes que j'ai retenues toute la soirée menacent de couler.

Marc s'approche. Je m'attends à une autre insulte, une autre remarque cruelle. Mais il reste silencieux un moment.

« Pourquoi tu fais ça, Jeanne ? » demande-t-il finalement, sa voix étrangement dénuée de mépris.

Je ne réponds pas. Je ne lui dois aucune explication.

Il s'impatiente. « Tu étais la meilleure élève, la plus brillante. Tu avais le monde à tes pieds. Et tu finis comme ça ? La pute d'un vieil homme ? Qu'est-ce qui est arrivé à ta fierté ? Qu'est-ce qui est arrivé à la fierté de ta mère ? »

La mention de ma mère est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. La rage submerge la peur et l'humiliation.

« Ne parle pas de ma mère, » je crache, ma voix rauque de larmes contenues. « Tu n'en as pas le droit. »

Je commence à sangloter, incapable de me retenir plus longtemps. Des hoquets secouent mon corps. C'est une humiliation de plus, pleurer devant lui. Je me sens faible, pathétique.

Il me regarde pleurer, son expression indéchiffrable.

Puis il me saisit le bras, violemment. « Monte dans la voiture. Je te ramène. »

« Laisse-moi ! » je crie en me débattant.

« Arrête de faire ta comédie et monte, » ordonne-t-il. Il me force à entrer dans sa voiture de luxe, l'odeur de cuir neuf m'agressant les narines. Il claque la portière et s'installe au volant.

Le silence dans la voiture est plus lourd encore que celui du parking. Je regarde par la fenêtre, les lumières de la ville défilant comme des traînées floues à travers mes larmes.

« C'est ça que tu voulais ? » reprend-il, sa voix redevenue dure et méprisante. « Une vie de luxe payée avec ton corps ? Je t'ai surestimée, Jeanne. Finalement, tu es aussi facile à acheter que n'importe quelle autre. »

Il continue son monologue cruel. « Dis-moi, combien il te donne, Moreau ? Je suis sûr que je peux te faire une meilleure offre. Après tout, nous avons un passé commun. Ça devrait valoir un petit supplément, non ? »

Mon cœur se glace. L'homme qui se tient à côté de moi est un monstre. Un monstre qui ne comprend que le pouvoir et l'argent.

Je sèche mes larmes, le visage soudainement calme. Une idée folle, dangereuse, commence à germer dans mon esprit. Si c'est le seul langage qu'il comprend, alors je vais le parler.

Je me tourne vers lui, un sourire cynique aux lèvres.

« Moreau me donne cinquante mille euros par mois, » je dis d'une voix parfaitement égale. « Sans compter les cadeaux. L'appartement dans lequel je vis est à mon nom. Il paie aussi toutes les factures médicales de ma mère, qui s'élèvent à près de vingt mille euros par mois. »

Je le regarde droit dans les yeux, mon sourire s'élargissant.

« Alors, Marc, dis-moi. Est-ce que ton offre est toujours valable ? Peux-tu te permettre de payer ce prix ? »

Il est stupéfait. Il me regarde, la bouche légèrement ouverte, comme si je venais de le frapper. Pour la première fois de la soirée, il est sans voix. Et dans ce silence, je sens un minuscule éclat de victoire.

            
            

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