Il ne parlait pas beaucoup. Il apportait de la nourriture, des livres. Parfois, il s'asseyait simplement en silence dans un coin de la chambre pendant que je dormais, comme un gardien silencieux. Il s'occupait de tout. Il avait payé l'hôtel pour un mois supplémentaire, il avait parlé à la police, il avait même fait en sorte que mon père ne nous importune pas.
Sa présence était à la fois déroutante et étrangement apaisante. Cet homme, qui m'avait causé une si profonde blessure, était en train de panser mes plaies. Je ne comprenais pas.
Un après-midi, alors que ma mère était sortie faire quelques courses, j'ai trouvé le courage de lui parler.
« Antoine, pourquoi ? » ai-je demandé d'une voix faible. « Pourquoi tu fais tout ça ? »
Il a détourné le regard, l'air mal à l'aise.
« Je te le devais. »
« Non, » ai-je insisté. « Ce n'est pas juste ça. Après ce que tu m'as fait... Après le pari... »
Le mot était lâché. Il a grincé des dents, son expression s'est durcie.
« Je sais, » a-t-il murmuré. « J'ai été un idiot. Un monstre. Il n'y a pas d'excuse pour ce que j'ai fait, Jeanne. »
Il s'est approché de moi, s'est agenouillé devant ma chaise. Pour la première fois, j'ai vu de la vulnérabilité dans ses yeux habituellement si froids.
« Quand j'ai appris que tu avais été enlevée... j'ai cru que j'allais devenir fou. J'ai utilisé tous les contacts de ma famille pour te retrouver. La seule chose qui comptait, c'était de te savoir en sécurité. »
Ses paroles étaient sincères. Je le sentais. La confusion en moi grandissait.
« S'il te plaît, » a-t-il dit, sa voix se brisant presque. « Donne-moi une chance de me racheter. Laisse-moi te protéger. »
J'étais faible, perdue, terrifiée par le monde extérieur. Sa présence était devenue mon seul point de repère, ma seule source de sécurité. Je me suis accrochée à lui comme une naufragée à une bouée.
Lentement, j'ai commencé à aller mieux. Il m'encourageait à sortir, à faire de petites promenades dans un parc voisin. Il était toujours à mes côtés, patient et attentionné. Il m'écoutait parler de mes peurs sans jamais me juger.
Un soir, alors que nous regardions le soleil se coucher depuis un banc, il a pris ma main.
« Jeanne, » a-t-il commencé, son ton sérieux. « Je sais que c'est sans doute trop tôt. Je sais que je ne le mérite pas. Mais... mes sentiments pour toi sont réels. Ce n'était pas que le pari. J'ai toujours été attiré par toi, mais j'étais trop stupide et trop fier pour l'admettre. »
Il a caressé ma main avec son pouce. « Laisse-moi être celui qui te rendra le sourire. Sors avec moi, Jeanne. Pour de vrai, cette fois. »
Mon cœur battait la chamade. J'étais partagée entre la méfiance née de la trahison passée et le besoin désespéré de croire à ce conte de fées. Il m'avait sauvée. Il prenait soin de moi. Il disait m'aimer.
Peut-être que les gens pouvaient changer. Peut-être qu'il méritait une seconde chance. Peut-être que je méritais, moi aussi, un peu de bonheur.
J'ai hoché la tête, un faible sourire aux lèvres. « D'accord, Antoine. »
Son visage s'est illuminé d'un soulagement et d'une joie qui semblaient si authentiques. Il s'est penché et a déposé un baiser doux et hésitant sur mes lèvres.
Les semaines suivantes ont été idylliques. J'ai eu l'impression de vivre un rêve. Il était le petit ami parfait. Attentif, généreux, intelligent. Il m'a aidée à surmonter mon traumatisme. Avec lui, je me sentais en sécurité. Je me sentais aimée. Je commençais à croire en un avenir possible, un avenir où je pourrais être heureuse à ses côtés. Ma mère elle-même, d'abord méfiante, a fini par être conquise par sa dévotion.
Nous étions devenus le couple dont tout le monde parlait. La princesse déchue et son prince charmant qui l'avait sauvée. Même Marc et Lucas, quand nous les croisions, nous regardaient avec un mélange de jalousie et de respect. J'avais gagné. J'avais trouvé l'amour, et j'avais prouvé à tous qu'ils avaient eu tort.
Un soir, Antoine m'a invitée à une soirée chez Marc. « Il est temps de leur montrer que nous sommes sérieux, » avait-il dit.
J'étais nerveuse, mais sa main dans la mienne me donnait de la force. Pendant la soirée, je suis allée aux toilettes. En revenant, j'ai entendu des voix provenant du balcon. Celles de Marc et d'Antoine. Je me suis arrêtée, cachée derrière une plante verte.
« Alors, Antoine, je dois l'admettre, tu es impressionnant, » disait Marc. « Tu as vraiment joué le grand jeu. Le sauvetage, les soins, la déclaration d'amour... C'est du grand art. »
Le cœur battant, j'ai tendu l'oreille.
La réponse d'Antoine a été un rire froid, un rire que je ne lui avais pas entendu depuis longtemps.
« Qu'est-ce que tu crois ? Je t'avais bien dit que je pouvais la récupérer en moins de deux mois. Tu me dois 100 000 euros. »
Un silence. Puis la voix de Marc, incrédule.
« Attends... Tu veux dire que tout ça... l'enlèvement, le sauvetage... tout faisait partie d'un autre pari ? »
« Pas tout à fait, » a corrigé Antoine, sa voix empreinte d'une suffisance glaciale. « L'enlèvement était une coïncidence heureuse. J'ai juste saisi l'opportunité. C'était bien plus efficace que des fleurs et des poèmes, tu ne trouves pas ? Une demoiselle en détresse est tellement plus facile à séduire. Surtout quand elle est déjà un peu brisée. »
Le sol s'est dérobé sous mes pieds. L'air m'a manqué. Chaque mot était un coup de poignard. Chaque souvenir heureux des dernières semaines s'est transformé en une farce cruelle.
Le pari. C'était encore et toujours un pari.
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