Ce mot, « à moi », a déclenché quelque chose en moi. Une alarme. Toutes les fois où il m'avait dicté ma conduite, choisi mes amis, critiqué mes robes. Ce n'était pas de la protection, c'était du contrôle.
« Je ne suis à personne, » ai-je sifflé, essayant de me dégager.
« Oh, regarde-la faire sa rebelle maintenant qu'elle est pauvre, » a lancé une voix moqueuse derrière nous.
Lucas s'est approché, son éternel sourire narquois aux lèvres. « Marc, sois gentil, tu vas lui faire peur. Jeanne, tu sais bien qu'il s'inquiète pour toi. On s'inquiète tous. C'est qui, ce nouveau venu ? Un autre pauvre type que tu as trouvé pour te consoler ? »
Ses paroles étaient comme des petites piques empoisonnées. Il a toujours su exactement où frapper pour faire mal, tout en gardant son air de gentil garçon.
« Laissez-la tranquille, » a dit ma mère, sa voix tremblante mais ferme.
Marc et Lucas l'ont à peine regardée. Leurs yeux étaient rivés sur moi, comme des prédateurs jouant avec leur proie.
J'ai compris à ce moment-là. Je n'avais jamais été leur égale. J'étais leur jouet, la mascotte de leur petit groupe de garçons riches. La fille Dubois. Un trophée à exhiber. Maintenant que le trophée avait perdu de sa dorure, il ne leur servait plus qu'à se divertir en le piétinant.
Une voiture de luxe s'est arrêtée doucement près de nous. Antoine en est sorti. Il a ajusté ses lunettes, son expression aussi froide et impassible que d'habitude.
« Qu'est-ce qui se passe ici ? » a-t-il demandé d'un ton neutre.
« Jeanne a un petit ami secret, » a craché Marc, me lâchant enfin le bras. « Elle nous le cache. »
« Elle a le droit d'avoir un petit ami, » a répondu Antoine, mais ses yeux analysaient mon visage, cherchant une faille. « Quel est son nom, Jeanne ? »
« Pourquoi tu le lui demandes si gentiment, Antoine ? » a ricané Lucas. « Tu as toujours eu un faible pour elle, non ? Même quand on... »
Lucas n'a pas fini sa phrase, mais un éclair de panique a traversé le regard d'Antoine.
Et soudain, le souvenir m'est revenu, brutal et douloureux.
Un an plus tôt. Une soirée. Beaucoup d'alcool. Antoine, pour une fois, moins distant. Ses mots, ses mains, ses baisers. J'avais cru à un moment de sincérité, à une connexion cachée. J'avais cru qu'il ressentait quelque chose pour moi.
Jusqu'à ce que j'entende sa conversation avec Marc quelques jours plus tard.
« Alors, tu as gagné ton pari ? Tu as réussi à coucher avec la princesse ? »
La voix d'Antoine, froide et détachée. « C'était d'une facilité déconcertante. »
Ce souvenir, que j'avais enfoui si profondément, a refait surface avec une violence inouïe. La nausée est revenue. Ce n'était pas juste de l'humiliation publique. C'était une trahison personnelle, profonde et dévastatrice.
Antoine a dû voir le changement sur mon visage. Il a pâli.
J'ai regardé ces trois visages. L'arrogance de Marc. La méchanceté de Lucas. La culpabilité et la confusion d'Antoine.
Mes "amis". Mes bourreaux.
J'ai éclaté d'un rire amer, qui les a tous surpris.
« Vous voulez savoir qui il est ? » ai-je demandé, un défi dans la voix. « Vous le découvrirez bien assez tôt. Et vous réaliserez à quel point vous êtes pathétiques. »
Sur ces mots, j'ai tourné les talons, entraînant ma mère avec moi, et nous nous sommes éloignées dans la nuit, laissant derrière nous les ruines de mon ancienne vie.
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