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Je reconnais cela à Jack : il sait recevoir, surtout quand la nuit est déjà bien avancée. Le divertissement nocturne semble être son domaine réservé.
Son bureau est plongé dans une lumière tamisée. Une musique de guitare acoustique vibre doucement, faisant résonner chaque note dans le creux de mon ventre. La voix rauque du chanteur me trouble l'équilibre, me vrille l'oreille et l'âme. Jack, lui, prépare deux martinis, chacun orné d'une cerise rouge vif.
Je fronce les sourcils alors qu'il me tend mon verre.
- Je déteste les cerises.
- Intéressant, murmure-t-il, ses yeux ancrés dans les miens. Pourquoi ?
Je le fixe tout en faisant tournoyer le liquide dans le verre. Je bois une gorgée, grimace légèrement à cause du goût âcre, presque médicinal, qui me pique au fond de la gorge.
- Elles sont étranges. On dirait du plastique.
- Pas les vraies, réplique-t-il.
- Non, pas les vraies.
Je ravale ma salive, tentant de réprimer le tumulte dans mon ventre, la vitesse irrégulière de mon pouls. Il faut que je revienne à l'essentiel. Je ne suis pas ici pour siroter un cocktail dans une atmosphère alanguie.
- Le serveur canadien peut être sélectionné sur Slack, mais ça va ralentir l'ensemble du processus.
- De combien ?
- Quelques secondes de décalage. C'est inévitable, vu la distance.
- Quelques secondes ? Il secoue la tête. Y a-t-il vraiment aucun endroit plus proche ?
- Aucun capable de gérer un tel volume de données.
Il termine son verre d'un trait.
- Et Wolf pense que c'est acceptable ?
Le ton qu'il prend pour prononcer ce nom est chargé de mépris.
- Tu crois vraiment qu'il se serait donné la peine de venir jusqu'ici pour proposer ça, s'il n'était pas convaincu que c'était viable ?
- Enfin... il te drague, non ?
Je ne peux retenir le soupir de colère qui s'échappe de mes lèvres. Il a toujours été impoli, exigeant. J'ai appris à faire abstraction. Je n'attends pas de Jack Grant la politesse que les autres savent doser dans leurs rapports. Mais là, il dépasse les bornes... même après une soirée de flirt intense.
- Sa proposition est professionnelle, rétorqué-je, d'une voix ferme. Il y a dans mon ton un avertissement clair. L'a-t-il perçu ?
Apparemment pas. Jack a l'air d'un chat qui joue avec une souris.
- Mais tu couches avec lui ?
- Mon Dieu, Jack ! je m'exclame en me levant d'un bond.
Ses yeux suivent mon mouvement avec une précision féline. Rétrécis. Analyseurs. Il me lit comme un livre ouvert. Mais je suis trop furieuse pour m'en soucier. Trop bouleversée, aussi. Il est à moitié ivre, terriblement odieux, et depuis qu'il m'a plaquée contre lui plus tôt, je suis dans un état second.
Je masque ce désordre intérieur derrière un voile de colère.
- Ça ne te regarde absolument pas.
Ses yeux accrochent les miens. Il affiche une nonchalance arrogante, mais une tension sourde irradie de lui. Je la reconnais.
- Il bosse pour moi. Tu travailles pour moi. Si tu couches avec lui, j'ai le droit de le savoir.
- Ce que je fais de mon temps libre ne regarde que moi. Tant que ça n'affecte pas mon boulot, tu n'as rien à dire là-dessus. Compris ?
Je redresse le menton, mes yeux affrontent les siens sans ciller.
Il reste impassible, en apparence. Mais je sais lire sous la surface. Jack est une mer d'émotions dissimulées. Et je le connais mieux que quiconque.
- Tu ne m'as jamais semblé timide, dit-il doucement.
- Parce que je ne le suis pas.
Je recule d'un pas. Mon dos heurte le mur. Je me sens acculée, confuse, étrangement électrisée par cette tournure absurde.
- Alors réponds à la question.
- Est-ce que je couche avec Wolf ?
Ma voix n'est qu'un souffle rauque dans l'air devenu moite.
- Oui. Tu sais tout de moi, n'est-ce pas ? Alors pourquoi garder tes secrets ?
J'ouvre la bouche pour répliquer sèchement, mais je la referme aussitôt. Il marque un point. Je sais beaucoup de choses sur lui. Pas tout, contrairement à ce qu'il prétend, mais bien plus que la majorité des gens.
- Tu pourrais toujours fermer ta porte si tu voulais être plus discrète sur ta vie amoureuse.
- Vie sexuelle, corrige-t-il sans réfléchir, mécaniquement, et je comprends aussitôt que Lucy est à l'origine de cette précision.
Je ne connais rien de sa femme. J'imagine qu'elle devait être douce - bien que le simple fait qu'elle ait épousé Jack me pousse à remettre en cause son jugement. Peut-être était-il différent, avant. Avant sa mort. Peut-être que ses penchants de salaud n'étaient pas si évidents.
- Tu comptes vraiment vivre le reste de ta vie comme ça ? À passer d'une femme à l'autre sans jamais apprendre quoi que ce soit d'elles, à part leur tour de poitrine et leurs préférences sexuelles ?
Son regard descend lentement vers ma poitrine. Il jauge. Merde. Mes tétons se durcissent sous le tissu fin de ma robe - trop ajustée pour un soutien-gorge, et inutile dans mon cas.
Son sourire satisfait me donne envie de le gifler. Je résiste à l'envie de croiser les bras pour dissimuler ma réaction involontaire.
- J'essaie d'apprendre quelque chose sur toi, là, tout de suite, maintenant, dit-il.
Mon pouls cogne avec violence dans mes veines. J'ai une image fugace de sa chambre, de ces matins où je l'ai trouvé affalé après une nuit d'excès... Je refuse de me projeter davantage.
- Tu as peur que je te juge ?
J'ouvre les yeux. Il est là, juste devant moi. Sa tête penchée. Son corps à une fraction de souffle du mien. Un petit gémissement m'échappe avant que je puisse l'étouffer.
- Toi ? Tu penses que tu as le droit de me juger, après avoir fait défiler la moitié de l'Angleterre dans ce bureau ?
- Pas la moitié de l'Angleterre, murmure-t-il, un sourire effleurant ses lèvres. La moitié de Londres, peut-être.
- Comment tu justifies ça ? demandai-je, sentant la ligne devenir dangereuse. Tu crois que Lucy serait fière de te voir baiser à tour de bras parce que tu refuses d'entretenir une relation réelle ? Tu penses qu'il y a une sorte d'échelle de monogamie que les morts attendent de leurs conjoints vivants ?
Un muscle tressaille sur sa joue. Je sais que je l'ébranle. Et je n'arrête pas. Je suis furieuse, moi aussi. Il n'a pas le monopole du désir frustré.
Et ça fait du bien de le pousser à bout. Merveilleusement bien.
- Tu crois que ce que tu fais à ces femmes est juste ?
Son sourire s'étire lentement. Mais il est froid. Mordant.
- Je n'ai entendu aucune plainte.
Boom. L'étincelle qui embrase ma colère.
- Tu les jettes avant même de connaître la moitié de leurs prénoms ! Tu sais où elles pourraient déposer plainte, hein ? Mon Dieu, Jack. Tu es le roi des chauvinistes, égoïste, égocentrique, incapable -
Il lève un doigt, le pose doucement sur mes lèvres, m'imposant le silence. Son regard est brûlant, chargé d'intention. Une chaleur intense se répand dans mon corps.
- Tu sais..., murmure-t-il en glissant deux doigts dans mon verre, pour en extraire la cerise rouge vif au fond. Tu as tendance à être très prompte à juger.
Ma respiration devient instable. Sa main approche dangereusement de ma bouche. Il passe son doigt sur ma lèvre inférieure. Je ne recule pas. Il tient la cerise dans l'autre main. Mon regard s'y accroche sans que je le veuille.
- Tu n'as jamais découvert que tu aimais quelque chose que tu croyais détester ? Tu n'as jamais été mauvaise ?
Je secoue doucement la tête, sans savoir vraiment ce qu'il me demande. Il me prend de court : il porte la cerise à ses lèvres, l'aspire dans sa bouche. Je le regarde, fascinée. Puis son doigt quitte mes lèvres, et alors que je tente de parler - quoi exactement ? - il pose sa bouche sur la mienne, glisse la cerise entre mes lèvres, la fait rouler, l'embrasse, et l'écrase contre ma langue.