Chapitre 2 Chapitre 2 - Monsieur Ricci

En cette heure matinale, la terrasse de la brasserie parisienne est déjà bondée. Peu avant 8h00, le centre de Paris est déjà en effervescence avec des milliers de parisiens qui rejoignent leur lieu de travail et entre-temps, la plupart d'entre eux s'arrêtent boire leur café matinal dans un petit bistrot typique de la capitale. Louisa traverse difficilement les tables encombrés de clients pour rejoindre la salle de service dédiée au personnel.

-Bonjour tout le monde ! glisse t-elle discrètement à ses collègues.

-T'es en retard Louisa, lui répond sèchement Jean, son fameux patron.

Louisa ne prend même pas la peine de lui adresser un regard et file à son casier pour déposer ses affaires. Une fois en tenue de service, Louisa se saisit d'un plateau argenté et rejoint rapidement sa collègue déjà en pleine action sur la terrasse extérieure. Elle s'active en prenant le plus de commandes, replace correctement les chaises et nettoie les tables pour accueillir de nouveaux clients.

-Bonjour mi bella !

-Ah bonjour monsieur Ricci ! Vous allez bien ?

-Très bien, il y a du monde aujourd'hui !

-Oui c'est bondé mais je vous ai gardé votre table habituelle.

-Toujours aussi gentil et prévenante...

Louisa et monsieur Ricci s'entendent particulièrement bien. Habitué du restaurant et habitant du quartier, l'homme âgé d'une soixantaine d'année et toujours habillé d'un élégant costard, s'est prit d'affection pour la jeune femme. Ils avaient partagé de longues conversations lorsque Louisa travaillait tard le soir pour effectuer la fermeture du bar. Une relation presque paternelle s'est doucement installée entre eux et l'attitude, le panache mais aussi la maturité de cette jeune fille a toujours impressionné monsieur Ricci. Lui aussi d'origine italienne, le courant est tout de suite passé entre les deux.

Louisa l'apprécie encore plus lorsqu'il lui laisse un généreux pourboire.

-Thé vert au citron avec le journal du matin, comme d'habitude ?

-Évidemment !

Louisa note sa commande et ramène la plupart des additions à l'intérieur de la brasserie.

-Tiens, tu peux m'encaisser ça Victor ? dit-elle en s'adressant au barman derrière son comptoir.

-Ouais donne ! Ça va ? Pas trop galère ce matin ?

-Ouais ça va, un peu fatigué comme d'habitude...Y'a du monde aujourd'hui oh !

-Y'a l'inauguration d'une exposition très attendue au Louvre sur De Vinci, c'est pour ça.

-Ah ! Et toi le barman artistique tu vas y aller ? réplique Louisa avec un sourire narquois.

-Très drôle, je suis mort de rire, répond ironiquement Victor. C'est que sur invitation privée et je suis pas un merdeux de bobo, donc pas convié !

-Je me doute bien, t'iras une prochaine fois t'inquiète pas ! Dit, c'est grave si on va déjà se fumer une clope ?

Tout les deux sont coupés dans leur conversation par une remarque de leur patron.

-Finis de papoter vous deux. Louisa va en terrasse ! Et on a connu mieux pour une serveuse de mettre un jean et des baskets dans un restaurant rue du Louvre.

Instantanément, trois mots surviennent dans la tête de Louisa : *FERME TA GUEULE*

-Oui bien-sûr Jean, j'y vais de ce pas Jean ! dit-elle sarcastiquement en levant les yeux en l'air.

Louisa sait qu'il déteste cela. Que son égo surdimensionné a dû mal à encaisser cette ironie qui la caractérise.

Son attitude amuse Victor qui lui sourit avec complicité. Son plateau en main, Louisa regagne la terrasse et prend de nouvelles commandes. Le rythme effréné ne lui laisse pas une minute et la ronde infernale des clients ne s'arrête pas.

-Dure matinée apparemment, lance monsieur Ricci assit au fond de la terrasse.

-Oh oui ! Il y a une inauguration très attendue au Louvre dans la matinée, ça explique la foule ! répond Louisa avec une légère aigreur en essuyant une table.

-Je sais, j'ai reçu une invitation et d'ailleurs je dois m'y rendre si je ne veux pas arriver en retard.

-Mais vous êtes un homme d'affaire, pourquoi vous allez à une exposition sur De Vinci ?

L'homme ne prête pas attention à la question de la jeune femme, obnubilé par la lecture de son journal.

Il semble soucieux et fronce ses épais sourcils.

-Alors ça dit quoi ? demande Louisa qui le voit perplexe.

L'homme semble se reconnecter à la réalité et relève les yeux en souriant.

-Rien de bien réjouissant. La France renforce ses frontières après les attaques terroristes et le Brésil à un nouveau président qui risque de ne pas faciliter mes affaires.

-Ah mince ... Des investissements au Brésil ?

-Plutôt des investissements dans le commerce international. Tu t'y connais un peu en commerce et finance internationale ? lui demande l'homme en repliant son journal.

-Ah non monsieur Ricci, répond Louisa en rigolant. Je suis étudiante en psychologie moi, alors les maths et les chiffres c'est pas mon truc.

-Vous devriez vous y mettre, ne serait-ce que pour améliorer votre culture générale et ça pourrait vous servir un jour.

L'homme attrape sa veste puis sort son porte-feuille de sa poche intérieure.

-Toujours un plaisir mi bella, dit-il en reprenant ses affaires pour regagner le trottoir.

-Passez une bonne journée monsieur Ricci !

-On va essayer.

Louisa regagne la table afin de prendre l'addition et l'encaisser. Comme à son habitude, monsieur Ricci lui a laissé un généreux pourboire en apposant un billet de 50€ pour un simple thé au citron. En soulevant le billet, Louisa remarque qu'une petite clé se trouve dans la coupelle, glissée entre le billet et le ticket de caisse.

-Mince !

Elle se retourne et aperçoit monsieur Ricci encore présent sur le trottoir bondé. Elle décide rapidement de le rattraper mais l''homme s'engage sur le passage piéton tandis que Louisa est ralentie par la grande quantité de clients présent sur la terrasse.

-Monsieur Ricci ! Vous avez oublié votre clé ! scande-t-elle une fois sur le trottoir.

Soudain, des hurlements surviennent à seulement quelques mètres d'elle. Louisa aperçoit une voiture s'engager à contre sens sur le trottoir et filer à toute vitesse sans se préoccuper de la foule. Les personnes présentes sur son chemin sautent sur le côté pour échapper au pire alors que brusquement, la voiture regagne la route et accélère au niveau du carrefour. Dans la panique, un mouvement de foule commence à se créer et Louisa ne peut lutter contre cette force humaine qui l'emporte en arrière.

Comme au ralenti, elle fixe monsieur Ricci dans les yeux et voit la voiture le fauché ainsi que deux autres personnes. L'homme est brutalement projeté en hauteur, son corps se désarticulant dans les airs tel un vulgaire pantin.

Au moment de l'impact au sol, le corps de Monsieur Ricci se plie en deux au niveau de la nuque et se fracasse contre la chaussée. Les autres personnes fauchés avec lui sont projetées sur le côté et un jeune homme voit sa jambe broyée par l'une des roues avant. La puissante berline noire, dans son élan, remonte sur le trottoir et continue sa route pour prendre la fuite. Louisa est tétanisée. Malgré l'agitation des gens apeurés autour d'elle, elle demeure immobile.

Son corps raidit par le choc.

Son regard fixé sur le cadavre gisant de monsieur Ricci.

            
            

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