La Muse Oubliée
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Chapitre 4

Quelques semaines plus tard, le Tout-Paris de la mode s'était rassemblé pour le gala annuel de la profession. C'était l'événement de l'année, une soirée où le luxe et l'apparence régnaient en maîtres. Cette année, un hommage spécial était rendu à Antoine pour l'ensemble de sa carrière, malgré son jeune âge. La presse people ne parlait que de ça, et surtout, de sa nouvelle "relation" avec Sophie. Les magazines publiaient des photos d'eux, le présentant comme un homme dévoué prenant soin de son amie d'enfance gravement malade. On parlait de son "courage", de son "abnégation".

C'était une fable magnifique, et tout le monde y croyait.

Camille était là. Pas en tant qu'invitée, mais en tant que membre du personnel de service. Après l'épisode de la réserve, elle avait besoin d'argent pour préparer son départ et avait accepté ce travail humiliant, se disant que se noyer dans la foule anonyme des serveurs serait une façon de passer inaperçue. Vêtue d'un uniforme noir passe-partout, un plateau à la main, elle regardait la scène de loin, le cœur vide.

Elle a vu Antoine arriver, magnifique dans son smoking sur mesure. À son bras, Sophie, resplendissante dans une robe de soirée qu'il avait créée spécialement pour elle. Une robe d'un rouge flamboyant, audacieuse, spectaculaire. Camille a reconnu la coupe, les lignes. C'était un de leurs projets, un dessin qu'ils avaient esquissé ensemble une nuit, en riant, un projet qu'ils avaient appelé "Flamme". Le voir porté par Sophie était une profanation. Il lui volait non seulement son homme, mais aussi ses rêves, ses créations, leur histoire commune. Il recréait pour Sophie tout ce qu'il avait autrefois créé pour Camille. Mais cette fois, la douleur était sourde, lointaine. Elle se sentait détachée, comme si elle regardait un film dont elle n'était plus l'héroïne.

Personne n'osait l'approcher. Quelques anciennes connaissances, des mannequins, des photographes, la reconnaissaient et détournaient le regard, gênés. La rumeur de sa "crise de jalousie" et de son "agression" sur la pauvre Sophie s'était répandue comme une traînée de poudre. Antoine avait veillé à ce qu'elle soit ostracisée. Un jeune assistant styliste, qui avait toujours eu de l'affection pour elle, a tenté de lui glisser un mot de réconfort en passant.

« Tiens bon, Camille. On sait tous que ce n'est pas toi... »

Antoine, qui se trouvait non loin, a entendu. Son regard s'est glacé. Le lendemain, le jeune homme était renvoyé. Le message était clair : toute personne manifestant de la sympathie pour Camille serait punie. Elle était seule, une paria dans son propre monde.

Soudain, le chaos. Des cris ont éclaté près de l'entrée. Un groupe d'activistes, protestant contre l'utilisation de fourrures dans la mode, a fait irruption dans la salle de bal, lançant des fumigènes et des slogans. La panique s'est emparée des invités qui se sont mis à courir dans tous les sens. Dans la confusion, un lustre, malmené par la cohue, s'est décroché du plafond, oscillant dangereusement juste au-dessus de la table où se trouvaient Antoine et Sophie. Au même moment, un des activistes, bousculé, a projeté un lourd chariot de service droit sur Camille.

Le temps a semblé se suspendre. Antoine a vu les deux dangers simultanément. Le chariot filant vers Camille, le lustre menaçant de s'écraser sur Sophie. Pendant une fraction de seconde, il est resté pétrifié, son visage une toile blanche de terreur. Son instinct, son véritable instinct, criait le nom de Camille. Ses muscles se sont tendus pour courir vers elle. Mais son regard a croisé celui de Sophie, suppliant, et le poids de sa promesse, de sa mascarade, l'a cloué sur place. Il a fait son choix. Avec un cri étranglé, il s'est jeté sur Sophie pour la protéger du lustre qui s'écrasait dans un fracas assourdissant.

Au même moment, le chariot de service a percuté Camille de plein fouet. La violence du choc l'a projetée contre un pilier en marbre. Sa tête a heurté la pierre avec un bruit sourd et elle s'est effondrée sur le sol, inconsciente, une tache de sang commençant à s'étendre sur le sol blanc immaculé.

Le chaos s'est calmé aussi vite qu'il avait commencé. La sécurité a maîtrisé les activistes. Le silence est retombé, lourd et pesant. Antoine, indemne, a relevé la tête. Il a vu le corps inerte de Camille. Et là, son masque est tombé. Une panique pure, sauvage, a déformé ses traits. Il a repoussé Sophie, qui s'agrippait à lui, et s'est précipité vers Camille, se frayant un chemin à travers la foule abasourdie.

« Camille ! » a-t-il hurlé, un cri de pure agonie.

Il s'est agenouillé à ses côtés, ses mains tremblantes effleurant son visage ensanglanté. Ses yeux, d'habitude si froids et contrôlés, étaient remplis d'une terreur et d'une inquiétude qui ne pouvaient être feintes. Il a hurlé sur les gens autour de lui.

« Appelez une ambulance ! Putain, mais faites quelque chose ! »

Sa détresse était si palpable, si authentique, que personne ne comprenait. Cet homme qui l'avait publiquement rejetée et humiliée était maintenant anéanti par sa chute. Au milieu du tumulte, Camille a brièvement repris conscience. Ses paupières ont papillonné. À travers un brouillard de douleur, elle a vu le visage d'Antoine, décomposé par l'angoisse. Elle a vu les larmes qui brillaient dans ses yeux. Elle a vu la vérité. Toute cette froideur, ce rejet... il jouait un rôle. Mais la douleur dans ses yeux en cet instant, cette douleur-là, était réelle. La prise de conscience a été comme un éclair, ironique et cruel. Il l'aimait encore. Et cette certitude, au lieu de la réconforter, a rendu sa trahison encore plus monstrueuse. Puis, l'obscurité l'a de nouveau engloutie.

                         

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