Les hommes ont commencé à s'emparer des cartons que Camille avait si soigneusement préparés, des cartons qui contenaient les derniers fragments de sa vie passée. Le médecin qui l'aidait, une femme du nom de Docteur Eva, était venue l'assister pour le déménagement. C'était une femme d'une cinquantaine d'années, calme et posée. En voyant la scène, elle s'est interposée.
« Madame, vous n'avez pas le droit de faire ça. Ce sont ses affaires. »
Le regard de Sophie s'est durci. « Et vous êtes qui, vous ? Son avocate ? » D'un signe de tête, elle a désigné Eva à l'un des hommes. « Débarrassez-moi d'elle. »
L'homme a attrapé Eva par le bras sans ménagement et l'a poussée dehors, la faisant trébucher sur le paillasson. Camille a crié, mais Sophie s'est approchée d'elle, un sourire cruel aux lèvres.
« Ne t'inquiète pas pour elle. Occupe-toi plutôt de toi. »
Alors que Camille tentait de protéger un carton contenant ses carnets de croquis personnels, Sophie a fait un pas en arrière, a heurté intentionnellement le coin d'une table et s'est laissée tomber au sol en poussant un cri de douleur. Elle a attrapé son bras, son visage se tordant dans une grimace de souffrance parfaitement simulée.
« Aïe ! Mon bras ! Elle m'a poussée ! »
À cet instant précis, comme par une mise en scène diabolique, Antoine est entré. Il a vu Sophie par terre, en larmes, et Camille debout, l'air abasourdi. Il n'a pas cherché à comprendre. Il s'est précipité vers Sophie, la prenant dans ses bras, avant de tourner vers Camille un regard chargé de fureur.
« Qu'est-ce que tu lui as fait, espèce de monstre ? Tu vois bien qu'elle est malade ! Comment oses-tu lever la main sur elle ? »
« Je n'ai rien fait ! » a balbutié Camille. « C'est elle... elle a tout inventé ! »
« Tais-toi ! Je ne veux plus entendre ta voix ! » a-t-il hurlé. Il a aidé Sophie à se relever, la traitant comme une poupée de porcelaine. Sophie, se blottissant contre lui, a murmuré d'une voix faible : « Ce n'est rien, Antoine... Je suis sûre qu'elle ne l'a pas fait exprès... Mais... j'ai eu si peur. »
Le venin était distillé avec une précision mortelle. Antoine s'est tourné de nouveau vers Camille, le visage dur comme le granit.
« Tu vas lui présenter tes excuses. À genoux. »
Camille a reculé d'un pas, horrifiée. « Jamais. »
Le regard de Sophie a brillé. « Ce n'est pas la peine, Antoine, vraiment... Je veux juste qu'elle parte, qu'elle disparaisse... Mais peut-être que... qu'elle pourrait aller nettoyer la vieille réserve de l'atelier ? Tu sais, celle qui est inondée et pleine de moisissures depuis des années. Il faut bien que quelqu'un le fasse. Ce sera sa façon de se racheter. »
C'était une demande encore plus vicieuse que des excuses. La réserve était un sous-sol abandonné, insalubre, un endroit où personne n'osait mettre les pieds. C'était une punition déguisée, une humiliation publique. Antoine a hésité une fraction de seconde. Camille a vu cette hésitation, cette lueur de doute dans ses yeux. Il savait que c'était cruel. Mais il a regardé Sophie, son visage pâle et suppliant, et il a cédé. Sa promesse envers la mourante pesait plus lourd que sa conscience.
« Très bien. Tu vas nettoyer la réserve. Et tu ne sortiras pas tant que ce ne sera pas impeccable. »
Deux gardes de sécurité l'ont escortée jusqu'à l'atelier, comme une criminelle. Ils l'ont poussée à l'intérieur de la réserve et ont fermé la lourde porte métallique derrière elle. L'odeur était insupportable, un mélange d'humidité, de pourriture et de poussière. Le sol était couvert d'une fine couche d'eau stagnante et glacée. Il n'y avait qu'une seule ampoule nue qui pendait du plafond, projetant une lumière blafarde sur les murs suintants. On lui a donné un seau, une brosse et une serpillière.
Elle a commencé à travailler, mécaniquement, les larmes se mêlant à l'eau sale sur le sol. Le froid pénétrait ses os, ses mains sont devenues rouges et à vif à force de frotter. Chaque centimètre carré de ce lieu sordide était un rappel de sa déchéance. Elle a dû vider des étagères couvertes d'une moisissure verdâtre, déplaçant de vieilles boîtes remplies de tissus rongés par les mites et le temps. La tâche était interminable, épuisante. De temps en temps, un garde ouvrait le judas de la porte pour vérifier si elle travaillait, avant de le refermer avec un claquement sec.
Les heures passaient. Son corps entier était une seule douleur. Ses muscles criaient, son dos la brûlait. Elle a continué, encore et encore, frottant, nettoyant, vidant les seaux d'eau noire. Elle ne pensait plus, elle agissait. C'était un travail de forçat, une torture physique et mentale. À un moment, elle a glissé sur le sol visqueux et est tombée lourdement, sa tête heurtant une étagère en métal. La douleur a été fulgurante. Elle est restée là, allongée dans l'eau sale, le corps tremblant, à bout de forces. Mais l'image du visage triomphant de Sophie lui a donné un regain de haine. Elle s'est relevée, chancelante, et a repris sa brosse.
Finalement, après ce qui a semblé être une éternité, elle a terminé. Le sol était propre, les murs essuyés, les étagères vides. La pièce était toujours aussi sinistre, mais elle était nette. Elle s'est effondrée contre un mur, épuisée, trempée, le corps et l'âme endoloris. Elle avait atteint une sorte de limite, un état où la douleur physique était si intense qu'elle en devenait presque abstraite. Elle n'a pas pleuré. Elle n'en avait plus la force. Elle a attendu, dans le froid et l'obscurité, que quelqu'un vienne enfin la libérer de ce tombeau. Une sorte de calme étrange l'a envahie, le calme de celui qui a touché le fond et qui n'a plus rien à perdre.