Les Enfers de Camille
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Chapitre 2

Peu de temps après son retour du Pont des Soupirs, alors qu' il était seul dans la chambre froide qu' on lui avait assignée, la porte s' ouvrit brusquement. Camille, qui n' avait pas mis les pieds ici depuis ce qui semblait être une éternité, entra.

Elle écarta le rideau de perles qui pendait à l' entrée et ses yeux rencontrèrent immédiatement le regard de Marc. Un regard mort. Vide. Dénué de toute émotion.

Le cœur de Camille se serra. Une vague d' anxiété inexplicable la submergea. Autrefois, les yeux de Marc étaient un océan d' amour pour elle, un refuge où elle pouvait se perdre. Maintenant, ils étaient comme une étendue d' eau stagnante, sans la moindre ondulation, sans le moindre reflet.

Avait-elle été trop loin ? Cette pensée la traversa comme un éclair.

Alors qu' elle restait figée, incapable de bouger, Marc prit la parole le premier. Sa voix était plate, polie, impersonnelle.

« Votre Altesse, que me vaut l' honneur de votre visite ? »

Votre Altesse.

Le mot résonna dans le silence de la pièce. Le cœur de Camille manqua un battement. En mille ans d' amour, ils avaient utilisé tous les surnoms tendres imaginables. Une seule fois, il y a très longtemps, il l' avait appelée « Votre Altesse ». C' était après une bataille où elle lui avait caché une grave blessure. Sa colère avait été froide, distante. Elle avait dû supplier, pleurer, promettre de ne plus jamais lui mentir pour qu' il accepte de lui pardonner et de la reprendre dans ses bras. Depuis ce jour, il n' avait plus jamais utilisé ce titre.

L' entendre à nouveau, après tant d' années, dans ces circonstances... Camille sentit comme si une pierre invisible venait de lui écraser la poitrine, la laissant sans souffle. Sa main, qui tenait encore le rideau de perles, se crispa.

Était-ce son imagination ? Pourquoi avait-elle l' impression que Marc avait changé de manière si fondamentale ?

Mais elle se ressaisit rapidement. Peu importait qu' il ait changé. Une fois que Julien serait parti, elle retrouverait la mémoire et tout rentrerait dans l' ordre. Marc l' aimait trop pour lui en vouloir éternellement. Elle le cajolerait, et il finirait par céder, comme toujours.

Elle réprima son anxiété et adopta un ton froid, autoritaire.

« Aujourd' hui, c' est le quinzième jour du mois. Ai-je besoin de vous rappeler ce que vous avez à faire ? »

Un sourire amer, presque imperceptible, se dessina sur les lèvres de Marc. Bien sûr qu' il savait. Après que Julien eut soi-disant risqué sa vie pour Camille, il avait développé une étrange maladie cardiaque. Tous les quinze jours, la douleur devenait insupportable. Le seul remède connu était une formule spéciale dont l' ingrédient principal était le sang du cœur d' une personne au Yin pur.

Et dans tous les Enfers, il était le seul.

Marc ne dit pas un mot. Il se leva, contourna Camille comme si elle était un simple meuble, et se dirigea d' un pas lent mais assuré vers le palais de Julien.

Camille resta immobile, le regardant s' éloigner. Son dos était droit, inflexible. Un sentiment indéfinissable lui serra la gorge. Elle sentait qu' il avait changé, mais elle n' arrivait pas à mettre le doigt sur quoi.

Dans le Palais des Étoiles, la résidence de Julien, les bougies vacillaient, jetant des ombres dansantes sur le visage pâle et élégant du malade. Marc se tenait au centre de la pièce. Il tenait un poignard à la lame fine et acérée. Sans la moindre hésitation, il le plongea dans sa propre poitrine, visant son cœur.

Au moment où il retira la lame, le sang jaillit, une source pourpre et chaude qui tacha sa robe blanche. Le médecin, qui attendait à côté, se précipita avec un bol de jade, recueillant précieusement le liquide vital. Une fois le bol rempli, il jeta négligemment une poignée de poudre hémostatique sur la plaie ouverte de Marc et se détourna pour préparer le remède.

Marc s' affaissa contre un mur, le souffle court, le corps tremblant de douleur et de faiblesse. Il leva légèrement les yeux. Il vit le bol de médicament, rempli de son propre sang, être apporté au chevet de Julien. Il vit Camille prendre elle-même la cuillère, la porter délicatement aux lèvres de Julien, et le cajoler d' une voix douce.

« Sois sage, Julien, ça va aller mieux après avoir bu le médicament. La douleur va disparaître. »

Son visage était empreint de cette tendresse infinie qu' il connaissait si bien. Mais la personne qui en était l' objet n' était plus lui.

Après que Julien eut bu docilement le médicament, Camille lui tendit un fruit confit qu' elle avait préparé à l' avance. Puis, du bout de son doigt, elle essuya délicatement les traces de médicament au coin de ses lèvres. Du début à la fin, son expression était d' une douceur infinie. Elle n' avait pas jeté un seul regard à Marc.

Dans un état second, Marc se souvint d' une époque où la plus petite égratignure sur son doigt suffisait à la mettre dans tous ses états. Elle aurait remué les six royaumes pour trouver un remède, juste pour soulager sa douleur.

Maintenant, son cœur saignait abondamment dans sa poitrine, et elle ne le voyait même pas.

Il ferma les yeux, se retourna et sortit du palais en titubant.

De retour dans sa chambre, épuisé, il s' effondra sur son lit et sombra dans un sommeil lourd et sans rêves.

Le lendemain matin, le Spectre Noir entra, suivi d' un groupe de serviteurs portant des plateaux chargés de toniques et de remèdes précieux.

« Monseigneur, » dit le Spectre Noir avec un respect qui sonnait désormais faux, « ce sont tous d' excellents fortifiants. Il faut absolument que vous les buviez pour vous remettre. »

Marc regarda les bols fumants, les fioles scintillantes. Il ne ressentit rien. Autrefois, il aurait pu croire à la gentillesse du Spectre Noir. Maintenant, il savait. Tout cela était orchestré par Camille, en secret. Elle pensait sans doute que ces cadeaux pouvaient compenser la douleur qu' elle lui infligeait. Il ne ressentait qu' une ironie amère.

« Emportez tout ça. Jetez-le, » dit Marc d' une voix froide.

Un jeune spectre, plus nouveau, hésita.

« Monseigneur, ce sont de bonnes choses. Vous êtes faible, vous devriez en boire un peu... »

Marc secoua la tête, sur le point de répondre, quand un bruit soudain se fit entendre à l' extérieur. La porte fut ouverte à la volée. Julien entra, l' air arrogant, suivi de plusieurs gardes.

Il jeta un coup d' œil méprisant aux toniques sur la table et ricana.

« Ah, je me disais bien pourquoi il manquait tant de choses dans les réserves du palais. Il paraît que c' est toi qui les as volées ! Venez, cassez-moi tout ça ! »

            
            

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