Chapitre 5 Chapitre 5 - Sous les lustres, un regard

Lena n'avait jamais su marcher avec grâce sur des talons hauts.

Mais ce soir, elle volait presque.

Sa robe couleur vin profond suivait le mouvement de ses hanches avec un soupçon d'audace, et dans son regard brillait ce mélange rare de nervosité et d'ironie. Le genre qu'on ne remarque pas tout de suite, mais qui fait tourner les têtes quand il passe.

Le gala battait son plein. Une verrière somptueuse, un orchestre discret, des gens qui parlaient bas, mais jugeaient fort.

Et au milieu de ce décor trop parfait, Lena se sentait comme une tache de peinture sur du marbre blanc.

Elle jeta un œil autour.

Maéva était là aussi, droite dans sa robe bleu nuit, une coupe stricte qui ne laissait aucune émotion s'échapper.

Même ici, elle semblait intouchable.

- Toi ici ? dit Lena en s'approchant.

Maéva leva un sourcil.

- Le monde est petit. Et ce genre de mondanité... difficile d'y échapper quand on veut faire semblant d'avoir de l'influence.

- Je suis venue pour les petits fours gratuits. Et éventuellement pour me faire repérer par un mécène séduisant, souffla Lena avec un sourire.

- Je préfère les mécènes silencieux et dévoués.

- Tu préfères les fantômes, quoi.

Maéva sourit à peine.

- Exactement.

Mais le fantôme ce soir... avait un visage.

Lena le vit avant tout le monde.

Un homme. Seul.

Il venait d'entrer sans bruit.

Pas de garde du corps. Pas d'annonce.

Et pourtant, l'espace se courba autour de lui comme s'il portait son propre magnétisme.

Il était grand. Élégant. Silencieux.

Ses yeux sombres balayèrent la foule... et s'arrêtèrent un bref instant. Sur elle.

Ou sur Maéva ? Lena n'aurait su dire.

Son cœur manqua un battement.

- C'est qui ? murmura-t-elle.

Maéva suivit son regard. Son visage, impassible d'ordinaire, se crispa d'un dixième de millimètre.

- Aucune idée. Mais... il ne te regarde pas comme un inconnu.

- Tu l'as vu aussi ?

- Oui.

Un serveur passa. Lena prit une flûte de champagne pour se donner contenance. Mais ses mains tremblaient légèrement.

Elle ne tremblait jamais.

Il s'approcha. Lentement. Avec la nonchalance calculée de ceux qui savent qu'on les observe.

Son costume noir semblait sculpté sur lui.

Son regard ne flanchait pas.

Et pourtant... il ne souriait pas.

Quand il fut à leur hauteur, il s'inclina légèrement, comme dans un film.

- Mesdames.

Juste ça.

Deux syllabes. Une voix grave, basse, presque un murmure.

- Bonjour, répondit Maéva, glaciale.

Elle ne le regardait pas. Elle le jaugeait.

- Bonsoir, dit Lena, plus doucement.

Leurs voix se chevauchèrent, comme si elles tentaient d'accrocher la sienne.

L'homme inclina la tête.

- Je vous souhaite une agréable soirée.

Puis il repartit.

Aussi vite qu'il était apparu.

Lena n'osa pas le suivre du regard.

Maéva, elle, le fit. Jusqu'à ce qu'il disparaisse dans un coin plus sombre de la salle, entouré d'autres hommes qui semblaient l'écouter plus qu'ils ne lui parlaient.

- Il ne s'est pas présenté, dit Lena, la gorge un peu sèche.

- Il n'avait pas besoin de le faire.

- Tu crois que c'est qui ?

- Quelqu'un qu'on ne rencontre pas par hasard.

-

La soirée reprit comme si rien ne s'était passé.

Mais pour Lena, tout avait changé.

Elle souriait aux autres, discutait avec les invités, riait même parfois...

Mais son esprit était ailleurs.

À chaque fois qu'elle croisait un regard, elle espérait que ce soit le sien.

Mais il n'était plus nulle part.

Ou alors partout à la fois.

Quand elle rentra chez elle, seule, elle posa sa robe sur une chaise et resta un instant devant son miroir.

Elle ne se reconnaissait pas.

Elle avait l'impression d'avoir croisé quelqu'un... qu'elle aurait pu aimer.

Mais trop tôt.

Ou trop tard.

Maéva, dans son appartement parfaitement rangé, referma son agenda électronique.

Elle aurait dû oublier cette soirée dès qu'elle en franchit la porte.

Mais le regard de cet homme revenait, comme une écharde sous la peau.

Froid, poli, profond.

Un regard de joueur.

Un regard de prédateur élégant.

Et dans un bureau invisible, au dernier étage d'un immeuble que personne n'avait noté, l'homme rouvrit son carnet.

La rencontre est faite. Les graines sont plantées.

Elles ont vu un homme.

Il ferma le carnet.

Et son reflet, dans la vitre, n'était plus tout à fait le même.

                         

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