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Maéva ne croyait pas au hasard.
C'était une faiblesse de l'esprit, une excuse qu'on se donnait quand on n'avait pas anticipé les variables.
Elle se levait chaque jour à la même heure, buvait son café noir - pas pour le goût, mais pour la clarté qu'il apportait - puis lisait les rapports de sécurité de la veille. À trente ans, elle dirigeait déjà une cellule de veille numérique dans une entreprise spécialisée en cybersécurité. La routine la rassurait. Les erreurs humaines, elles, l'exaspéraient.
Elle avait toujours préféré les machines.
Elles obéissaient. Elles n'avaient pas besoin d'être rassurées, complimentées, ni comprises.
Elles n'avaient pas cette manie absurde de vouloir "parler de ce qu'elles ressentent".
Maéva, elle, ressentait en silence.
Et parfois, pas du tout.
Ce mardi-là, elle se rendait dans un espace de coworking, un lieu qu'elle évitait d'ordinaire - trop vivant, trop bruyant. Mais une réunion client nécessitait discrétion, et l'endroit avait été choisi pour elle. Elle s'y installa tôt, comme toujours, dans un coin stratégique : dos au mur, vue dégagée, sortie en ligne droite.
Elle ouvrit son ordinateur, régla l'éclairage, ajusta le silence intérieur.
Et c'est là que l'erreur entra.
Pas une alarme. Pas un bug.
Une femme.
Elle déboula comme une bulle dans un aquarium clinique, avec un gobelet de café renversé sur son sac, des excuses aux lèvres, un rire aux joues, et une énergie qui n'avait rien à faire là.
- Oups. C'est... C'est la table 8 ici ? Non ? Vous avez l'air sérieuse... Vous travaillez pour la NASA ? demanda-t-elle avec un sourire qu'on aurait pu qualifier d'illégal en zone réglementée.
Maéva releva lentement les yeux.
Face à elle, une silhouette trop colorée, un pull avec un dinosaure (??), des cheveux en bataille, et un air vaguement lunaire.
- Je ne travaille pas pour la NASA. Et cette table est déjà occupée, répondit-elle calmement, sans animosité, mais sans sourire non plus.
- Oh mince. Je me disais aussi. Vous avez un air d'agent secret. Ou de tueuse à gages. Mais classe, hein, pas sanglante. Du genre qui boit du thé et corrige la syntaxe avant de tirer.
Maéva cligna des yeux.
Elle aurait pu l'ignorer. Elle aurait dû.
Mais quelque chose - un léger court-circuit dans sa zone frontale peut-être - la poussa à répondre :
- Thé noir. Sans sucre. Et je préfère les failles logicielles aux armes.
- Moi aussi, j'aime bien les failles... enfin, celles qui font tomber amoureux, pas celles qui plantent ton ordi.
Elle s'assit à la table voisine sans demander l'autorisation, en secouant son sac trempé avec fatalisme.
Maéva se reconcentra sur son écran, tentant de la rayer mentalement. Mais la voix revenait, comme un pop-up impossible à fermer.
- Moi c'est Lena. Et vous ? Si vous me dites "nom d'utilisateur : intrus", je vous respecte à vie.
- Maéva.
- Mystérieuse, froide, mais pas hostile. Je prends note.
Un silence.
Puis, contre toute attente, un rictus discret apparut au coin des lèvres de Maéva. À peine un tressaillement. Mais il était là.
Elle n'aimait pas les failles.
Mais celle-ci venait de s'infiltrer sans forcer le mot de passe.