Le repas du dimanche était une tradition immuable, une mascarade hebdomadaire.
On se retrouvait tous chez ma grand-mère, dans sa grande maison où chaque meuble criait son attachement aux traditions et à l'ordre établi.
L'odeur du rôti emplissait l'air, mais l'atmosphère était lourde.
Mon oncle Bernard était là, charismatique comme toujours, racontant ses petites réussites d'entrepreneur avec un grand sourire. Ma grand-mère buvait ses paroles, le regard plein d'admiration. Mon cousin Sébastien, son fils, se pavanait avec une nouvelle montre de luxe au poignet.
Mon père, Gérard, était assis en bout de table, silencieux.
Je l'observais. Il n'avait pas dit un mot du problème. Pire, quand ma grand-mère l'a complimenté sur une petite réparation qu'il avait faite pour elle, il a rougi de plaisir, son courage s'évaporant comme de l'eau sur une plaque chaude.
J'ai attendu une pause dans la conversation.
« Papa. »
Tout le monde s'est tourné vers moi.
« On doit parler de l'entreprise. »
Le visage de mon père s'est décomposé. Bernard a arrêté de sourire.
« Pas maintenant, Antoine, » a murmuré mon père.
« Si, maintenant. Oncle Bernard, il faut que tu retires mon nom de ta société. Et il y a des dettes à l'URSSAF. »
Ma grand-mère a posé ses couverts avec un bruit sec.
« Antoine, un peu de respect. On ne parle pas d'affaires à table. »
Bernard a ri, un rire condescendant.
« Ne t'inquiète pas pour ça, mon neveu. C'est juste de la paperasse. Je gère. »
« Tu ne gères rien du tout ! » J'ai sorti mon téléphone. « J'ai consulté le registre du commerce. Les dettes ne sont pas que des cotisations sociales. Il y a des créanciers, des fournisseurs impayés. La dette est bien plus importante que ce que tu dis ! »
Le silence est tombé sur la table.
Mon père m'a fusillé du regard.
« Tais-toi ! »
« Non. Je ne me tairai pas. C'est mon avenir qui est en jeu ! »
« Tu manques de respect à ton oncle ! À ta grand-mère ! » a crié mon père, se levant à moitié.
C'est là que tout a basculé. Poussé par le regard glacial de sa mère et le sourire narquois de son frère, il a fait ce que je n'aurais jamais cru possible.
Sa main est partie. La gifle a claqué dans le silence, ma joue a brûlé.
J'étais sous le choc, non pas de la douleur, mais de la trahison.
« C'est donc ça, ta solution ? » ai-je dit, la voix tremblante de rage.
Bernard s'est levé, sa chaise raclant le sol. Il a contourné la table et m'a attrapé par le col.
« Tu vas t'excuser auprès de ton père, petit con. »
Son visage était à quelques centimètres du mien, son haleine sentait le vin.
Je l'ai repoussé.
« Ne me touche pas. »
Sa réponse a été un coup de poing. J'ai reculé, heurtant le buffet. Des verres ont tremblé.
La seule qui a protesté fut ma tante Chloé, la sœur de mon père et de Bernard, toujours mise à l'écart.
« Bernard, arrête ! Tu es fou ! »
Mais personne ne l'écoutait. La grand-mère regardait la scène avec une satisfaction froide, comme si justice était rendue.