Yanis arrive deux jours plus tard.
Je l'entends depuis ma chambre. Sa voix traînante, ses rires forcés.
Je reste enfermé, espérant l'éviter. Mais le soir, Chloé frappe à ma porte.
« Léo ? Yanis est là. Il aimerait te dire bonjour. »
Je n'ai pas le choix. Je sors.
Yanis est avachi sur le canapé du salon, l'air faussement timide. Il a le teint cireux, les yeux fuyants.
« Salut, » dit-il d'une petite voix. « Désolé pour... tu sais. Le concert. J'étais pas dans mon état normal. »
Il ne me regarde pas dans les yeux.
Chloé est à côté de lui, une main protectrice sur son épaule.
« C'est oublié, » dit-elle à ma place.
Je ne dis rien. Le silence est pesant.
Manon entre dans la pièce, voit Yanis, et se cache immédiatement derrière mes jambes.
Yanis la regarde à peine. Son attention se porte sur le décor.
« C'est... grand, ici. »
Puis son regard se pose sur le mur du fond, où est accroché un grand tableau, une marine peinte par ma mère. C'est le seul objet que j'ai gardé d'elle.
« Ce tableau est un peu déprimant, non ? Ça me stresse. »
Chloé se tourne vers moi, l'air suppliant.
« Léo, on pourrait peut-être l'enlever ? Juste le temps que Yanis soit là. Pour qu'il se sente à l'aise. »
Je la regarde, incrédule. Enlever le tableau de ma mère ? Pour que son protégé se sente "à l'aise" ?
Les commentaires flottent près du visage de Yanis.
« Le pauvre, il est si sensible à cause de son traumatisme. »
« Chloé est un ange de prendre soin de lui comme ça. »
« Léo devrait être plus compréhensif. Ce n'est qu'un tableau. »
Ce n'est pas qu'un tableau. C'est ma mère.
« Non. »
Le mot est sec, définitif.
Le visage de Chloé se durcit. Yanis, lui, esquisse un petit sourire satisfait. Il a eu ce qu'il voulait : créer un conflit.
« Léo, tu exagères. C'est juste pour quelques semaines. »
« J'ai dit non. C'est ma maison aussi. Ou je me trompe ? »
Je lance un regard à Chloé, un défi. Pendant des années, j'ai tout accepté. J'ai ravalé ma peine, mes frustrations. J'ai joué le rôle du gentil garçon reconnaissant.
C'est terminé.
« Si ce tableau le dérange, il peut rester dans sa chambre. »
Sur ces mots, je prends la main de Manon et je monte à l'étage, laissant Chloé et son protégé dans un silence glacial.
Ce soir-là, en passant devant la chambre d'amis, je les entends discuter.
« Il me déteste, » dit Yanis d'une voix plaintive. « Je ne devrais pas être là. Je vais repartir. »
« Non, reste, » supplie Chloé. « Il va s'habituer. Il est juste... possessif. Ne t'inquiète pas, je vais m'occuper de lui. »
S'occuper de moi. Comme si j'étais le problème.
Je serre les poings. La guerre est déclarée.