Le lendemain matin, je descends pour le petit-déjeuner.
Chloé est déjà à table, les yeux rouges. Ses parents, comme d'habitude, sont absents, partis pour un salon du vin à l'étranger.
Manon, sa petite sœur de dix ans, est assise à côté de moi. Elle me prend la main sous la table.
« Tu pars vraiment ? » murmure-t-elle.
Je hoche la tête.
Chloé lève les yeux de son bol.
« Mes parents ne sont pas d'accord. Ils disent que tu ne peux pas partir comme ça. »
« Ils ne sont pas là, » je réponds froidement.
« Je leur ai parlé au téléphone. Ils pensent que tu fais une crise d'adolescent. Ils veulent que je te raisonne. »
Elle se lève et s'approche de moi.
« Léo, s'il te plaît. Oublions cette histoire. Reste. Pour moi. »
Les commentaires s'affolent.
« Regardez comme elle est sincère ! Elle met sa fierté de côté pour lui ! »
« Un homme devrait savoir quand pardonner. Elle est parfaite. »
Parfaite.
Je me souviens de toutes les fois où elle a ignoré les rumeurs au lycée. Celles qui me traitaient de "profiteur", d'orphelin qui vivait aux crochets de sa famille riche.
Elle n'a jamais dit un mot pour me défendre.
Je me souviens de l'anniversaire de la mort de mon père. Elle l'a oublié. Elle était à une fête avec Yanis.
Quand je le lui ai rappelé, elle a juste dit : « Oh, désolée. J'avais la tête ailleurs. Yanis n'allait pas bien. »
Yanis. Toujours Yanis.
« Je ne peux pas, Chloé. »
Sa mâchoire se crispe. La douceur disparaît de son visage.
« C'est à cause de lui, n'est-ce pas ? Tu es jaloux. Tu ne comprends pas ce qu'il traverse. Il a une anxiété sociale sévère, il a besoin de moi. »
« Et moi, Chloé ? De quoi j'avais besoin quand j'étais seul à l'hôpital ? »
« J'étais occupée ! Tu n'es pas un enfant ! Yanis aurait pu faire une bêtise ! C'est par pitié que je l'aide, tu ne peux pas comprendre ça ? »
La pitié. Ce mot me frappe.
Mon père est mort pour sa famille. Ils m'ont accueilli par gratitude, ou peut-être par pitié aussi. Et maintenant, elle donne sa pitié à un autre.
Je me lève.
« J'ai compris beaucoup de choses, Chloé. C'est pour ça que je pars. »
Je quitte la pièce, la laissant plantée là. Manon me suit dans le couloir.
« Yanis est méchant, » dit-elle. « Je ne l'aime pas. »
Je m'accroupis et la prends dans mes bras.
« Je sais, petite puce. Je sais. »
Son innocence est la seule chose pure dans cette maison.