Ce soir-là, l'atmosphère était tendue. Après le dîner, je les ai tous réunis dans le salon. J'ai posé mes questions, calmement, méthodiquement.
« Papa, tu dis que Jacques est docker. Tante Sophie, tu dis qu'il est étudiant. Claire, tu dis qu'il est un bon vivant. Comment est-ce possible ? »
Ils se sont regardés, mal à l'aise. Pour la première fois, j'ai vu le doute dans leurs yeux. Ils ont essayé de trouver une explication logique, mais n'y sont pas parvenus. Leurs souvenirs, si vifs individuellement, s'effondraient lorsqu'on les confrontait.
Soudain, ma mère a poussé un petit cri.
« Ce verre... il n'était pas là tout à l'heure. »
Elle montrait un verre à vin sur la table basse. Il était à moitié vide. Personne ne se souvenait de l'avoir posé là.
Puis mon oncle Pierre a remarqué autre chose.
« Et le canapé... Regardez. »
Sur le coussin à côté de lui, il y avait une empreinte, comme si quelqu'un venait de se lever.
C'est à ce moment que Lucie a parlé, sa petite voix claire résonnant dans le silence.
« Oncle Jacques était en haut. Il m'a aidée à construire une tour avec mes cubes. »
Nous sommes tous montés dans sa chambre. Le cœur au bord des lèvres. Sur le tapis, il y avait une tour de cubes incroyablement haute et complexe. Et à côté, quelques jouets que nous n'avions jamais vus auparavant. Un petit soldat de plomb, une toupie en bois.
Mais la chambre était vide.
La peur a commencé à s'installer. Une peur froide et irrationnelle.
Nous sommes redescendus. Le pire était à venir.
Le verre à vin sur la table basse avait disparu. L'empreinte sur le canapé aussi. Comme si rien ne s'était passé. Comme si nous avions tout imaginé.
Toc. Toc. Toc.
On a frappé à la porte d'entrée.
Nous nous sommes tous figés. Mon père s'est approché lentement de la porte.
Une voix a parlé de l'autre côté. Une voix d'homme, calme et familière.
« C'est moi. Jacques. »
Mon père a déverrouillé la porte et l'a ouverte.
Dehors, il n'y avait personne. Juste le vent froid de la nuit et le bruit des feuilles mortes.