Les semaines qui ont suivi ont été un tourbillon de travail. Je passais mes journées à négocier avec l'artiste, à rassurer les investisseurs, à superviser l'installation des œuvres. Le soir, je rentrais épuisée dans mon petit appartement, mais c'était une bonne fatigue. Une fatigue constructive.
Julien a essayé de me contacter, bien sûr. Il a utilisé le téléphone de sa mère, celui de son père. J'ai reconnu les numéros de la région de Bordeaux et j'ai bloqué chacun d'entre eux, un par un, sans jamais décrocher.
Un soir, en rentrant, j'ai trouvé un bouquet de pivoines blanches, mes fleurs préférées, devant ma porte. Il n'y avait pas de carte. Je savais qu'il venait de lui. Il avait dû demander mon adresse à M. Dubois, qui aurait refusé, puis il avait probablement payé un détective privé. Le geste qui se voulait romantique ne m'a semblé que pathétique et intrusif.
J'ai laissé les fleurs dans le couloir de l'immeuble. Une voisine les a prises, ravie.
Mathieu, son meilleur ami et partenaire, a été plus persistant. Il m'a appelée d'un numéro inconnu. J'ai décroché par erreur, pensant que c'était un fournisseur.
« Amélie, s'il te plaît, ne raccroche pas. »
Sa voix était fatiguée.
« Qu'est-ce que tu veux, Mathieu ? »
« Juste te dire qu'il ne va pas bien. Vraiment pas bien. Il ne mange plus, il a arrêté de s'occuper du vignoble. Il passe ses journées à regarder des photos de vous deux. »
J'ai soupiré. Le même discours. La même tentative de me faire culpabiliser.
« Chloé est là pour s'occuper de lui, non ? » ai-je demandé, ma voix dénuée de toute émotion.
Il y a eu un silence.
« C'est compliqué, Amélie. Tu sais bien que Chloé... elle a toujours eu besoin de lui. C'est lui qui la protège. Maintenant, elle essaie de lui rendre la pareille, mais elle est maladroite. Elle le rend fou. »
« Ce n'est plus mon problème, Mathieu. J'ai un travail, une vie. J'ai tourné la page. »
« Il t'aime, Amélie. Il a fait une erreur stupide. Une énorme erreur. Mais il t'aime. »
« L'amour ne ressemble pas à ça, Mathieu. Pas pour moi. Dis-lui de signer les papiers du divorce. C'est tout ce que je lui demande. »
J'ai raccroché avant qu'il puisse répondre.
Cette conversation m'a plus agacée que peinée. Sa tentative de rédemption était aussi faible et centrée sur lui-même que l'avait été sa trahison. Il ne regrettait pas de m'avoir fait du mal, il regrettait d'avoir perdu son confort, sa stabilité. J'étais le cadre élégant de sa vie, et il n'aimait pas le vide sur le mur.
Ce soir-là, en relisant mes notes pour l'exposition, j'ai réalisé que je n'avais pas pensé à lui une seule fois de la journée. La douleur s'estompait, remplacée par une indifférence tranquille. J'étais en train de guérir.