L'odeur du chapon rôti et du gratin dauphinois emplissait notre petit appartement de banlieue. C'était le réveillon de Noël, une soirée qui se voulait chaleureuse.
Mon père, Jean-Pierre, rayonnait. Retraité, il ne demandait pas grand-chose, juste voir sa famille réunie.
Puis la porte s'est ouverte.
Mon oncle Bernard est entré, suivi de sa femme, Sylvie. Il portait un costume trop cher pour notre salon et une montre qui valait plus que notre voiture. Promoteur immobilier en province, il avait fait fortune. Il ne manquait jamais une occasion de nous le rappeler.
« Alors Jean-Pierre, toujours dans ce clapier ? »
Mon père a souri, un peu gêné.
« C'est petit, mais on est bien. »
Bernard a balayé la pièce du regard, un air de dégoût sur le visage. Ses yeux se sont posés sur la bouteille de vin que j'avais apportée, un bon petit Bordeaux que j'avais sélectionné avec soin. Je suis sommelier, après tout.
« C'est quoi ça ? Du vin de prolo ? Tiens. »
Il a posé une bouteille au nom clinquant sur la table. Un vin hors de prix, probablement choisi pour son étiquette plus que pour son goût.
Mon père n'a rien dit. Il a juste baissé la tête. Cette humiliation, je la connaissais par cœur. Elle se répétait chaque année.
Après le dîner, l'ambiance était lourde. Les autres oncles, tantes et cousins restaient silencieux, agacés mais soumis.
C'est là que Bernard a eu son idée.
« Et si on faisait une petite partie de poker ? Amicale, bien sûr. »
Il a sorti une liasse de billets épaisse de sa poche et l'a jetée sur la table.
« On va dire, cave minimale à 5 000 euros. Juste pour que ça soit intéressant. »
Il a ajouté avec un sourire carnassier.
« Ce n'est pas un jeu pour les smicards. »
Un silence glacial est tombé. 5 000 euros, c'était plusieurs mois de salaire pour la plupart d'entre nous. Les autres membres de la famille ont secoué la tête, murmurant des excuses polies.
Le regard de Bernard s'est posé sur moi.
« Et toi, Julien ? Le petit sommelier. Tu tentes ta chance ou tu as peur de perdre ta prime de fin d'année ? »
Je le fixais. Des années de mépris, d'humiliations subies par mon père, tout a reflué en une seule vague. Mon père, cet artisan fier qui avait un jour prêté à son jeune frère l'argent pour démarrer, un prêt jamais remboursé, jamais même mentionné.
J'ai gardé mon visage neutre.
« J'accepte. »